Renée Fleming : kitsch flamboyant et autobiographie heureuse



Bon, je viens de finir le bouquin de Renée Fleming qui est une sorte d'autobiographie de chanteuse d'opéra en cours de carrière.

Parfois, une autobiographie a pour intérêt de lire les édifiantes étapes d'une victoire contre le cancer, contre une infirmité ou contre les injustices, tout ça. Cela peut aussi être une mine d'anecdotes croustillantes dans laquelle on assiste à un règlement de compte en règle de ses adversaires et collègues.

Dans le livre de Renée Fleming, rien de tout cela. Tout va très bien et tout le monde est gentil et merveilleux avec elle, ses enfants sont en bonne santé et elle est pleine d'optimisme pour son avenir . Et pourtant, malgré cette désespérante bonne humeur, son livre reste intéressant.

Elle l'a conçu comme une sorte de pense bête pour jeune artiste d'opéra qui veut se lancer. Elle dit qu'un tel livre lui aurait été utile pour se dépatouiller de nombreuses embûches qu'elle a rencontré et qui ont toujours mis à l'épreuve son système D. On peut même y lire des conseils de technique vocale.

Ce qui fait l'intérêt du bouquin, c'est qu'il s'adresse avec justesse à toutes sortes de publics. Les personnes qui n'écoutent jamais d'opéra aussi bien que les experts les plus pointus peuvent le lire facilement et apprendre des choses. Ce succès vient qu'à mon avis elle a réellement écrit le texte, même si elle a été très aidée et relue.

Méthodique, Renée Fleming décrit par petites touches son univers et l'univers de l'opéra actuel. C'est classé par thèmes : famille, éducation, apprentissage, mentors, succès, défi, business, longévité, image, rôles, coulisses.

Ce n'est jamais ennuyeux en dépit d'une volonté évidente de ne pas froisser. Je ne pense même pas qu'il s'agisse uniquement de calcul ou de prudence : très américaine, Renée Fleming semble toujours tout positiver - le récit d'une master class avec Elisabeth Schwartzkopf est d'ailleurs très drôle à lire. On sent que les sautes d'humeur et le goût pour l'humiliation en public de la diva-professeur caractérielle ont dû être traumatisants, mais l'épisode se conclut par un bilan très positif, en tout cas à en lire Renée Fleming. Ravie de son passage en Allemagne, elle remercie encore Schwartzkopf pour tout ce qu'elle a apporté à sa voix. Ou alors, les insultes destinées aux autres élèves étaient encore pire ? J'imagine la joyeuse ambiance.

Dans tout le livre qui fait 355 pages, une seule personne en prend pour son grade : le chef d'orchestre Gianluigi Gelmetti, qui dirigeait l'orchestre lorsque Fleming a été huée à la Scala de Milan. Présenté comme un sous-fifre aplati devant le chef Riccardo Muti, s'évanouissant dans la fosse comme seule réaction à la bronca et écrivant ensuite une lettre ridicule et ampoulée à Fleming. Je me demande si il s'est pendu depuis la parution du bouquin, parce que être LA SEULE personne que la chanteuse ait croisé dans TOUTE sa vie dont elle soit capable de dire du mal semble relever de l'exploit. Ca doit pousser à une sacrée remise en cause, pauvre Gianluigi.

Le livre est à la fois sympathique et un peu maladroit, toujours très sincère à mon avis. Son autoportrait est celui d'une personne sujette à un trac fou, maladroite avec humour, bosseuse au delà de l'imaginable et toujours à l'écoute de conseils comme une "bonne élève" qu'elle est, image qui semble à la fois la ravir et la désoler. En tout cas, elle se donne un mal fou pour rompre avec l'image de diva d'opéra capricieuse qu'elle juge stéréoptypée.

Elle s'applique à concilier intégrité artistique et ouverture au grand public, équilibrant son répertoire en s'autorisant de temps à autre des pages de compositeurs méconnus et de musique actuelle. D'ailleurs le compositeur français Henri Dutilleux écrit en ce moment une oeuvre qu'elle a commandée, si j'ai tout bien compris.

Evidemment les pages d'autocritique assez lucide sur ses faiblesses débouchent invariablement sur des considérations autour de l'adage : " la critique est facile, l'art est difficile", et comme on n'est jamais mieux servi que par soi-même, elle n'oublie pas de rappeler à quel point Georg Solti, Placido Domingo et Carlos Kleiber, entre autres, ont été admiratifs devant sa voix.

Le livre met de bonne humeur, elle n'oublie pas de parler chiffons et éducation des enfants. Elle explique bien comment grâce à la persévérance et le travail, elle est venue au bout de toutes choses dans la joie et la bonne humeur. Elle parle de ses problèmes de trac et de la façon dont elle les a peu à peu dominés, avec des rechûtes.

La violence du monde de l'opéra et de la critique sont tout de même évoquées et bien analysées. Elle se dépeint comme une personne pragmatique, les pieds sur terre, avec insistance.

Dans sa volonté de mettre la musique de tout le monde sur le même plan, elle fait cependant bien des hiérarchies. Amusant de voir que sa participation à la bande son du Retour du Roi avec Howard Shore est bien classé dans la catégorie "business", en dépit de tout le bien qu'elle dit du cher Howard.

Plus émouvant, son émotion sincère lors de sa rencontre avec d'autres grandes chanteuses de l'histoire de l'opéra telles Renata Scotto, Leontyne Price, Frederica von Stade ou Joan Sutherland. Elle paraît alors aussi fan que grande diva.

Un livre tout kitsch et tout sympa idéal pour lire dans le train, ce que j'ai d'ailleurs fait. Et franchement j'ai été agréablement surpris, il y a vraiment des passages intéressants.



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Commentaires

Anonyme a dit…
Pas encore lu le bouquin mais ça donne envie... je dois dire que physiquement elle me fait réellement craquer (hé oui !), en plus d'avoir une voix brillante bien évidemment... ;)
Fanch a dit…
tiens salut ! un amateur de bossa nova qui passe ici :) et ben décidemment je suis plus lu que je le pensais :)

désolé de ne pas participer plus à ton forum mais je suis pas super expert et je me suis plus incrit pour le lire que pour participer
Anonyme a dit…
bien sur qu'est ce que tu crois !! ;) (je crois qu'on s'est aussi croisé sur le forum de Xavier, je me rappelle bien de ton 1er avatar), j'ai aussi laissé un commentaire ici par rapport à la formidable Badi Assad, ce n'est pas la première fois que je viens donc.

Pour mon forum, il y a de la place aussi pour les "non experts" (et pas mal de morceaux libres à écouter sans qu'on est besoin de connaître forcement les disques), et puis comment être "expert" dans une musique aussi vaste ? (à moins d'avoir plus de 60 ans) Je suis très très loin d'en avoir fait le tour depuis les 3 ou 4 ans que j'en écoute... Bref, faut pas avoir de complexes ;)
Anonyme a dit…
Elle l'a conçu comme une sorte de pense bête pour jeune artiste d'opéra qui veut se lancer. Elle dit qu'un tel livre lui aurait été utile pour se dépatouiller de nombreuses embûches qu'elle a rencontré et qui ont toujours mis à l'épreuve son système D. On peut même y lire des conseils de technique vocale.

Oui, l'ouvrage est réputé pour cette raison, de voir les anni di galera avant la gloire internationale. Comme quoi on peut être la plus grande chanteuse du monde sans avoir de consonnes. (Pardon.)


Dans tout le livre qui fait 355 pages, une seule personne en prend pour son grade : le chef d'orchestre Gianluigi Gelmetti, qui dirigeait l'orchestre lorsque Fleming a été huée à la Scala de Milan. Présenté comme un sous-fifre aplati devant le chef Riccardo Muti, s'évanouissant dans la fosse comme seule réaction à la bronca et écrivant ensuite une lettre ridicule et ampoulée à Fleming. Je me demande si il s'est pendu depuis la parution du bouquin, parce que être LA SEULE personne que la chanteuse ait croisé dans TOUTE sa vie dont elle soit capable de dire du mal semble relever de l'exploit. Ca doit pousser à une sacrée remise en cause, pauvre Gianluigi.

Ce n'est pas un immense chef en effet, et il rêvait peut-être d'être dauphin, mais il y a bien, bien pire comme chefs italiens décervelés.


Le livre est à la fois sympathique et un peu maladroit, toujours très sincère à mon avis. Son autoportrait est celui d'une personne sujette à un trac fou, maladroite avec humour, bosseuse au delà de l'imaginable et toujours à l'écoute de conseils comme une "bonne élève" qu'elle est, image qui semble à la fois la ravir et la désoler.

C'est l'impression qu'elle donne, oui.


En tout cas, elle se donne un mal fou pour rompre avec l'image de diva d'opéra capricieuse qu'elle juge stéréoptypée.

C'est exact, mais qui croit encore à cela ? Ca a été vrai il y a bien longtemps, et avec certaines. La sempiternelle invocation rituelle de Callas n'aide peut-être pas à chasser ces souvenirs.

Aujourd'hui, il n'y en a plus beaucoup. On songe même à Kathleen Battle chassée du Met en pleine gloire à cause de son caractère exécrable.
L'anecdote : dans un taxi à San Francisco, elle appelle son agent à New York pour qu'il appelle le chauffeur et lui dise de relever la vitre...


Elle s'applique à concilier intégrité artistique et ouverture au grand public, équilibrant son répertoire en s'autorisant de temps à autre des pages de compositeurs méconnus et de musique actuelle.

Ah bon ? Méconnus ? Comme qui ? Comme Berg ou Richard Strauss ?


Dans sa volonté de mettre la musique de tout le monde sur le même plan, elle fait cependant bien des hiérarchies. Amusant de voir que sa participation à la bande son du Retour du Roi avec Howard Shore est bien classé dans la catégorie "business", en dépit de tout le bien qu'elle dit du cher Howard.

Vu la taille du cachet, il est probable qu'elle n'ait pas pu faire autrement. Et puis ce n'est sans doute pas l'expérience la plus risquée et la plus palpitante de sa carrière.


Plus émouvant, son émotion sincère lors de sa rencontre avec d'autres grandes chanteuses de l'histoire de l'opéra telles Renata Scotto, Leontyne Price, Frederica von Stade ou Joan Sutherland. Elle paraît alors aussi fan que grande diva.

Je ne suis pas du tout étonné qu'elle cite ces noms. (Tout s'explique.)


Un livre tout kitsch et tout sympa idéal pour lire dans le train, ce que j'ai d'ailleurs fait. Et franchement j'ai été agréablement surpris, il y a vraiment des passages intéressants.

Non, là, tu es dur.


Sinon, par rapport à la vidéo, je ne l'aurais jamais crue capable de chercher à être drôle. Il a vraiment fallu que ce soit bel et bien sa voix pour que je ne croie pas au montage.

Nous saluons ton courage révérencieusement.
Fanch a dit…
et ben quelle santé ! en plus de toutes les nouvelles entrées de Carnets sur sol, des commentaires détaillés chez les voisins !
Anonyme a dit…
Mes ravisseurs m'ont relâché, j'en profite pour rendre quelques visites de courtoisie.

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