Pirates, utopistes, révoltés, sadiques et verres de punch



Un petit livre dont j'avais entendu parler et qui mérite sa petite réputation à part.

"Les pirates" de Gilles Lapouge est un essai sur l'histoire et la position de la piraterie. Plus que l'habituel recueil d'anecdotes maritimes, c'est une véritable étude très bien écrite sur les équipages qui ont quadrillé les mers à toutes les époques.

Ce que démontre Lapouge est fascinant : les pirates sont à la fois acteurs importants de l'histoire et complètement en dehors. Leur raison d'être est toujours liée aux routes commerciales et à la politique de l'époque. Les états les utilisent comme moyen de pression, comme armée d'élite. L'empire britannique n'aurait pas pris son essor sans la piraterie, l'empire Turc déclinant ne fera plus illusion à la fin que par ses pirates face aux états européens, la géographie et l'urbanisme de l'Amérique du Sud sont façonnés en partie par les pirates. Ils sont en dehors de l'histoire car ils construisent sur du sable, ils n'ont aucune postérité et ne cherchent pas à en avoir.

Ils sont sur la mer c'est à dire hors du monde, hors du temps. Leur seule présence tangible aujourd'hui se trouve dans les livres pour enfants. Quoique... en Asie et ailleurs, la rumeur dit qu'ils sont de retour. Qui sait ?

Mais la piraterie est aussi une utopie. Les pirates sont des révoltés. Contre la société, contre les moeurs, contre la religion. Ils ne connaissent pas les hiérarchies sociales, le concept de racisme leur est étranger. Quand certains se contentent de petits bricolages timorés et de ronds dans l'eau, d'autres défient des empires avec de véritables flottes organisées tels l'irlandais Morgan et son armée de 3000 hommes, Nau l'Ollonois qui prend Maracaïbo en 1666 ou l'incroyable veuve Ching et ses 1500 jonques qui affronteront à deux reprises la flotte de l'empereur de Chine.

Parfois cela tourne à la folie missionnaire, telle l'épopée de Misson autour de Madagascar sous Louis XIV qui prêche la bonne parole à ses hommes après chaque combat, par des longs discours sur l'égalité des races, la non-violence, la tempérance etc.... Il choisira un drapeau blanc et la devise " Dieu et Liberté". Le pirate Blackburne deviendra archevèque d'York. D'autres sont moins nets, tels le curé espagnol Muñoz qui, tombé amoureux d'une russe, tuera sa famille pour se lancer ensuite sur les mers avec un bateau français volé sur lequel il fera griller ses prisonniers (il avait donc gardé de la très sainte Inquisition l'idée essentielle).

Il y a des pirates femmes, étranges personnages tels Jeanne de Belleville, Ann Bonney, Mary Read, l'énigmatique Lady Killigrew ou l'ahurissante veuve Ching. Ce sont à chaque fois des parcours individuels marqués par la révolte contre l'ordre établi. Les bonnes moeurs n'ont pas leur place en piraterie.

Les pirates sont non seulement en révolte contre la société, mais contre la finitude de la condition humaine. Certains sont de véritables dandies, fanatiques d'élégance en toutes occasions, d'autres font dans la pyrotechnie, tel Barbe Noire qui mettait des fumigènes dans sa barbe pour aborder les navires ennemis. Leur or est vite perdu ou bien enterré en des lieux improbables, c'est à dire toujours gaspillé. Ils vivent dans l'excès et la fête perpétuelle à une époque de grande pauvreté généralisée.

Lapouge fait la description de personnages crapuleux, pervers ou brillants, mais toujours impressionnants. Il conclut sur l'humilité du pirate qui ne laisse aucune trace de son passage sur terre, sans richesse, son cadavre au fond de l'eau.

C'est un livre étonnant à lire, très érudit, toujours entre rève et politique, histoire et légende, poésie et énumération de faits précis.

Et il reste dans le ton de cette page aux thèmes marins.

Bonne lecture, chers non lecteurs.

Et au passage sur le sujet je vous recommande les deux tomes des histoires de pirates par Daniel Defoe, décidément un incroyable témoin de l'histoire de son temps et qui, en plus de son célèbre Robinson Crusoe, se révèle dans ses livres un observateur très lucide de la naissance du capitalisme en Angleterre, ainsi que des mutations sociales qui l'accompagnent. Il ne pouvait donc pas négliger ce phénomène marquant qu'a été la piraterie. Presque tout dans ce texte est romancé, mais illustre encore une fois la piraterie révolte, utopie politique et crapulerie.

Commentaires

Chevalier Bayard a dit…
Ahem ... puisque tu parles de pirates ...ça fait un moment que j'attends ta réponse pour l'organisation de la 6ie séance de Furry Pirates...

=> http://furrypirates.lightbb.com et que ça saute !!! ;p
Fanch a dit…
a justement j'avais perdu l'adresse, bien bien bon j y vais :p
Fanch a dit…
heu tu aurais pas mon nom d'utilsateur et la boite mail d'inscription sous la main ? hem...

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