Vampires, western et grand guignol

Je me demande si quelqu’un a écrit un essai sur les fantasmes que fait naître le catholicisme dans la sous-culture américaine ? Il y aurait beaucoup à dire, tant le sujet inspire écrivains et cinéastes à grands coups de cardinaux corrompus, de vin de messe diabolique, de complots templiers et d’exorcismes baveux.

Car, sachez-le, le Vatican possède des commandos d’intervention anti-vampires capables de se projeter partout dans le monde à tout instant, et qui ont des méthodes très testostéronisées quand il s’agit de traiter un cas suspect : l’éradication pure et simple du sujet (avec une optimisation des explosions et des giclages de sang).

Il faut dire aussi que l’Eglise a quelques petites choses à se reprocher sur la question : elle a elle-même créé le premier vampire, le grand maître d’origine tchèque Valek, au XIIè siècle lors d’un « contre-exorcisme » qui à mal tourné (la boulette, qu’est ce que vous voulez, ça arrive) quelque part en France, dans la bonne ville de Biezers ( ?). Lequel grand maître, fort distrait au demeurant, a égaré la croix utilisée lors de ce « contre-exorcisme » initial, pendant que le Vatican la faisait circuler pour finalement la perdre à la fin du XXè siècle, quelque part en plein milieu d’un paysage de western, pas très loin du Rio Grande.

Dès lors, c’est une course contre le montre entre l’église catholique, soucieuse que tout cela reste secret, et l’abominable Valek dont l’allure se rapproche d’une sorte de Franz Liszt (sans piano) à la mode rock gothique (sans guitare). Si Valek met la main sur la croix, son pouvoir sera… enfin, on ne sait pas très bien ce qui se passera, mais on devine que ce sera terrible, avec beaucoup d’explosions et de giclages de sang, tout ça. Il faut donc à tout prix éviter que cela arrive (vous suivez ?)

Le commando vatican dépêché sur place est mené par le viril John Crow, espèce de John Wayne relooké, famille massacrée quand il était petit, etc…, qui est épaulé par une bande de cow-boys dévoués et accompagné d’un jeune prêtre exorciste imposé par le Vatican. Heureusement pour lui, le jeune prêtre en question va se révéler avoir en une sacrée grosse paire lui aussi, et pourra donc s’intégrer harmonieusement au groupe (tout en restant quand même une pauvre tafiole catholique, on ne se refait pas, que voulez-vous). Ah oui, j'oubliais de dire que le squad sera guidé par une vampirette prostituée de saloon, histoire que tous les personnages traditionnels du western soient bien présents dans cette histoire. Là je dois clarifier un peu : la vampirette sert de GPS au groupe car elle est reliée télépathiquement au grand maître qui l’a mordu. Là, le western traditionnel est enfoncé car Big Nose Kate ne savait pas faire cela (à moins que... j'avoue je connais mal ses prestations et ses tarifs, je me renseignerai).

Qui de John Wayne ou de Franz Liszt l’emportera ? Vous le saurez en regardant Vampires (1998) de John Carpenter, que j’ai vu hier diffusé sur une chaîne cablée.

Le film est du bon Carpenter, magnifiquement filmé, cadré, monté. Carpenter y déploie tout son imaginaire très rock, nourri de westerns. L’histoire est un joyeux n’importe quoi parfaitement assumé. Je trouve que c’est une des grandes réussites du sous genre qu’est le western-film de vampires.

Je voulais juste profiter de ce message pour dire deux mots du film qui a inventé ce genre, « Aux frontières de l’Aube (Near Dark) » de Kathryn Bigelow (1987), un peu oublié, et qui est à mon avis inégalé.

Bigelow voulait tourner un western, mais a du transformer en projet en film fantastique pour obtenir le financement. Dans le processus, elle a fait une réflexion sur ses personnages pour la réecriture, et je crois qu’elle est la première qui a transposé de façon convaincante le mythe du vampire sur le sol américain. Les vampires Bigelowiens sont des natifs du cru, plus de simples européens en exil.

Ses vampires, groupe de desesperados circulant sur des routes désertiques dans un camping-car fortifié, sont à la fois bourrés d’énergie et désespérés, à la recherche d’une liberté qui leur échappe toujours, esclaves de leur condition vampiresque (on ne dira jamais assez le tragique de la condition vampiresque, sujet scandaleusement négligé par les grands médias). Ils en sont même très touchants, ainsi cette jeune fille qui parle de son amour de la nuit à un jeune fermier, tous les deux seuls au milieu du désert, ou le vampire expérimenté de la bande, révolté et las de son immortalité.

Ce film a en définitive beaucoup marqué, par exemple avec sa scène de massacre dans un bar de routiers, scène qui a été reprise par Robert Rodriguez et Quentin Tarantino (lui c’est le vrai vampire des idées des autres) comme trame de tout un film à elle toute seule (Une nuit en enfer, 1996), et même de sa suite.

Les frontières de l’aube est un film aux thèmes et aux images très riches, très marquantes, et qui à mon avis n’a pas fini de nourrir et d’inspirer des continuations et des variations sur son genre. En le revoyant, il n’a pas pris une ride. On ne peut lui reprocher que son final incohérent, mais il faut bien trouver un moyen de conclure une histoire, et puis qui se soucie de cohérence quand il est question de vampires ?

Dommage que Kathryn Bigelow n’ait pas eu plus de succès, et ne soit aujourd’hui active que comme donneuse d’idées pour les films des autres. Je me dis que c’est sans doute en partie par misogynie des studios, mais John Carpenter qui est un homme n’est pas en bien meilleure posture.

Quoi qu'il en soit, voilà actuellement la somme de mes pensées vertigineuses sur le sujet. Je crois qu’il était très important de vous en faire profiter, chers non-lecteurs.