Le Faucon et Asters de Jun Ishikawa

Deux histoires d'un écrivain japonais que je ne connaissais pas, Jun Ishikawa et en réalité un peu choisi au hasard parce que je trouvais la couverture jolie (ici les non-lecteurs sont priés de se taire).

Publiés au Japon dans les années 1950, ces deux textes m'ont fait penser à un autre écrivain japonais dont j'avais lu plusieurs livres : Abe Kobo. On y retrouve une même veine, inspirée du surréalisme européen, et fantastique plus centrée sur des éléments obscurs de la culture japonaise. Les deux auteurs partageaient également une même radicalité politique que je trouve plus perceptible dans les textes de Ishikawa, alors qu' Abe Kobo se préocuppe plus de la psychologie de ses personnages. J'ai également senti des points communs avec le cinéaste Kyoshi Kurosawa dans certains de ses films (Charisma).

Le Faucon et Asters : les deux textes ont en commun d'être impossibles à résumer car les situations et les personnages sont en perpétuelle métamorphose.

La première histoire, qui se déroule à l'époque contemporaine, est celle d'un personnage recruté pour transporter des cigarettes, lesquelles se révèlent magiques et altérent la perception du temps. Non, ce n'est pas de la ganja ou quoi que ce soit dans le genre, elle modifient réellement le cours du temps. Le héros, au début simple larbin soumis et dévoué, a la révélation de son besoin de révolte contre l'ordre établi, révolte qui grandit. Il s'anime d'une soif de liberté et d'affirmation de soi au gré des situations de plus en plus confuses et au travers une lutte politique qui n'est pas la sienne au début, mais qu'il s'approprie au final.

La seconde histoire se passe dans un Japon médiéval et se teinte également de fantastique. Le personnage est tout aussi insaisissable. Jeune noble doué et destiné à la poésie, il choisit la voie des armes. Je l'ai compris comme un conte sur le choix délibéré et enivrant de la voie de la guerre et de la destruction. Le héros allie toutes les forces - poésie, magie, armes - à sa disposition pour atteindre une sorte de perfection artistique dans le mal. Mais comment en arrive t'il à suivre une telle démarche ? Dans ce texte, plus que dans le premier, il y a révélation (la mort d'un renard, sisi, je vous jure, c'est la révélation du pouvoir de tuer).

Tout d'abord subie et amenée par des tiers, comme dans la première histoire, la démarche du héros devient progressivement consciente et délibérée. A ce stade, plus question pour le héros de revenir en arrière, il ne cherche plus qu'à atteindre une plus grande intensité dans le sentiment d'accomplissement de soi que lui procurent ses actes. L'histoire est emplie de symboles, elle se déroule sur un territoire très codé - les lieux ont leur importance - et emprunte aux contes traditionnels japonais, avec une démoniaque femme-renard, un grand classique.

A une narration déjà déroutante, Ishikawa ajoute de nombreuses références issues de la culture japonaise, ce qui rend le livre difficile à comprendre dans le moindre détail pour un lecteur occdental pas fûté. Mais j'ai eu aussi l'impression qu'il y avait la volonté de construire une histoire de façon "musicale", sans que tout soit fait pour être analysé.

J'ai ressenti une cohérence dans les deux textes, comme s'ils obéissaient à une logique interne qui leur soit propre, mais pas immédiatement intelligible pour le lecteur. Cela m'a un peu fait penser à Kafka et d'ailleurs un des personnages du Faucon s'appelle K. - A moins qu'il ne s'agisse d'une simple coïncidence née de la traduction, mais cela m'étonnerait -. J'imagine que la traduction de tels textes, même courts, doit être extrèmement difficile. Ici, le français est concis et élégant, la traductrice Edwige de Chavanes a soigné son travail. L'absence presque totale de notes en bas de pages me semble voulu et me confirme dans l'impression que ces textes doivent être plus "sentis" que "compris".

J'ai apprécié. J'ai lu les deux histoires d'un trait, avec une sensation de fluidité, mais je crois que j'avais été plus sensible à Abe Kobo, même s'il est difficile de se faire une idée sur deux textes aussi courts de Jun Ishikawa.

Si des non-lecteurs passent par ici et peuvent me donner leur avis ?