Yuja Wang, vélocité digitale et grande forme
Ils sont une armée aux portes de l'occident, surentrainés, surmotivés, assoiffés de victoires. Il y en aurait plus de cinquante millions déjà opérationnels et encore bien d'autres en formation. Ils se livrent entre eux une compétition féroce et ne laisseront aucune chance à ceux qui ne seront pas de taille à les affronter. Pour l'instant, seuls quelques éclaireurs sont visibles, mais le reste de la troupe est bien là, embusquée, et quand elle déferlera les bastions occidentaux tomberont les uns après les autres... Tremblez, pauvres gens...
...
Heu bon, je parlais juste des pianistes chinois.
Oui, il est temps que je parle un peu piano sur ce blog, d'autant que résonnent toujours en première page les notes de la joyeuse musique de Sto pour cet instrument. So chic, n'est-il pas ?
La musique classique en général et cet instrument en particulier jouissent d'un grand engouement en Chine, et de nombreux jeunes pianistes veulent se lancer dans des carrières professionnelles, internationales de préférence. Il fallait s'y attendre, même les chinois sont humains, après tout, et leurs ambitions sont légitimes - au nom de quoi devraient-ils se contenter de faire de la figuration dans la vie musicale classique ?
Dans le même temps, les firmes de disque, pataugeant au fond de la totale panade du téléchargement massif, auto-naufragées en ne suivant pas du tout les évolutions des supports et des modes de consommation ces dernières années, voient dans le classique une des ultimes niches à petits profits. Et dans le marché chinois un des seuls marchés en forte croissance.
De ce désespoir des maisons de disque et de cette ambition des jeunes chinois est née une alliance, de celles scellées dans la pierre et dans l'acier : les maisons de disque produisent de jeunes pianistes chinois.
Et les amateurs de musique occidentaux ne sont pas tous rassurés. On les tire de leurs petites habitudes qui voulaient qu'un pianiste soit russe, éventuellement (mais plus rarement) allemand s'il était ennuyeux ou (encore plus rarement) français si l'on avait envie d'en dire du mal. Mais chinois, c'est de l'inédit, du jamais vu, l'aventure... Et les amateurs de musique se retrouvent déboussolés, sans stéréotype applicable prêt à l'emploi (on imagine leur désarroi).
Heureusement, le monde est bien fait et les pianistes chinois ont facilité les choses. Adoubé par Daniel Barenboïm, Lang Lang, âgé aujourd'hui de 27 ans, a fait démonstration d'une immense dextérité digitale alliée au mauvais goût le plus sûr en toutes circonstances. Fier de son image de pitre du clavier qu'il a étalée sur toutes les scènes du monde, Le jeune Lang est devenu la cible idéale de tous les mélomanes qui se respectent : c'est n'importe quoi ! Et peu importe qu'il ait un jeu très solide, peu importe aussi que dans les années 1920, Vladimir Horowitz aujourd'hui appelé "roi des pianistes" ait lancé sa carrière sur semblables acrobaties et arrangements horribles de tubes pianistiques, la cause est entendue : Lang Lang, c'est l'inverse de la musique, c'est du cirque, bref, pas du piano.
Le stéréotype prenait forme, les pianistes chinois étaient amusicaux.
Le second spécimen allait poser plus de problèmes. Vainqueur du prix ultime du pianisme, le concours Chopin de Varsovie en 2000, Yundi Li paraît plus consistant. Fort heureusement il s'applique à ne rien jouer d'autre que du Chopin et du Liszt, puis du Liszt et du Chopin, enfin du Chopin, puis du Liszt et du Chopin avant de rejouer du Liszt et du Chopin. Toujours de façon très appliquée, comme pour le concours. Soulagement, celui-ci est un bon élève, mais il laisse un grand champ libre pour les pianistes du reste du monde. Et peu importe si la quasi-totalité des pianistes des autres pays s'en tiennent exactement aux mêmes répertoires et aux mêmes jeux aseptisés, on avait un second portrait de pianiste chinois, aussi amusical que le premier.
Les jeunes pianistes occidentaux pouvaient souffler. En définitive, c'était une fausse alerte, les pianistes chinois n'étaient pas si redoutables, tout occupés qu'ils étaient à briller dans des versions trafiquées de La Campanella, ils laissaient tout le grand répertoire aux autres. On était quittes pour une petite frayeur.
Voire.
Parce que c'est à ce moment que choisit d'apparaître le troisième spécimen. Dans un premier temps pas de soucis, Yuja Wang enchaîne les Carmen-Fantaisie, Vols de bourdons et autres Rhapsodies hongroises avec des notes en plus avec un rythme effréné et moultes effets de manches. La question de savoir qui les joue le plus vite des trois spécimens peut en intéresser quelques uns mais sans plus.
Le souci est que dans sa grande tournée européenne de 2008, Yuja Wang a décidé de jouer ce récital, auquel j'ai assisté le 4 décembre :
Récital Yuja Wang 4 décembre 2008
Felix Mendelssohn - Variations sérieuses op. 54
Johannes Brahms - Variations sur un thème de Paganini op. 35 (les deux cahiers)
Alexandre Scriabine - Sonate n°4
Nikolaï Medtner - Sonate - Reminiscenza op. 38 n°1
Igor Stravinsky - 3 mouvements de Petrouchka
D'accord, il s'agit d'un programme à fortes exigences digitales. D'accord, il y a une grande part d'étalage de technique à enchaîner ces œuvres. Mais les souci est tout de même là : c'est du grand répertoire réservé aux pianistes-musiciens.
J'adore les variations sérieuses de Mendelssohn, sous l'apparence de variations, c'est une grande pièce d'un seul tenant, qui affiche son sérieux presque de façon trop appuyée. Mais les grands maîtres du contrepoint allemand sont convoqués ici, et ces variations sérieuses comme leur titre sont l'hommage de Mendelssohn à Beethoven et Bach. C'était joué avec une classe formidable par la pianiste, qui combainait dextérité et construction du discours.
Les variations sur un thème de Paganini de Brahms sont d'une redoutable difficulté technique, mais aussi un grand exercice de construction d'une pièce cohérente en un bloc, enfin, ici, deux blocs. Ici encore, il s'agit d'articuler un discours et de conduire jusqu'à son terme, ce qui a été fait avec une ahurissante maîtrise.
Plus "simple" sans doute la suite du programme, Scriabine et Medtner nécessitent la création d'ambiances, une grande clarté dans les harmonies, mais c'était facile vu les moyens pianistiques colossaux de Yuja Wang. Enfin, Petrouchka, c'est pour se reposer, il suffit que les doigts aillent très vite. Elle a tout de même réussi à donner une allure orchestrale à cette pièce transcrite par Stravinsky lui même pour Rubinstein.
De ce programme, on pourrait déduire que tout cela n'est que du pianisme chinois, mais la capacité à maîtriser la grande forme est époustouflante. Aucune esbroufe ni d'effets gratuits dans tout le concert. Juste une grande maîtrise et le souci de faire de la musique, un toucher très délicat même dans les pires déchaînements des partitions, peu de pédale, un grand souci de clarté.
Je ne suis d'ailleurs pas le seul à penser cela, j'ai trouvé un américain qui est resté sur les mêmes impressions dans un autre programme, sur son blog ici. (En plus, c'est quelqu'un qui a bon goût, il est même question de Kurtag sur son blog, pas comme chez moi).
Et pour étoffer un peu le fan-club de la jeune chinoise et le tirer vers le haut, il faut citer Claudio Abbado : " il y a longtemps que l’on n’avait pas entendu un tel talent avec une telle personnalité " (il rève d'une carrière en Chine, lui ?)
Elle sort un disque chez DG, avec un programme ambitieux : la seconde sonate de Chopin (celle de la marche funèbre), deux études de Ligeti, la seconde Sonate de Scriabine et la monumentale sonate en si de Liszt.
Bonne chance au piano chinois dans la grande forme musicale ! J'ai été conquis par ce récital.
Ah oui, j'ai oublié de parler des bis. Du pur étalage technique type Carmen fantaisie, vol du bourdon et une valse de Chopin. Pfffff, typique des pianistes chinois...
Commentaires
Tant pis, je repasserai plus tard. :-s
Comme d'habitude, tu as croqué avec beaucoup de saveur les applications de stéréotypes...
C'est vrai que ce mépris de principe pour les pianisinterprètes chinois est un peu tristoune (à l'heure où l'on ne peut en revanche pas critiquer un gars du Sud sans paraître immanquablement suspect de racialisme inauséabond.
Cela dit, il est clair qu'il manque à certains d'entre eux un lien direct avec cette culture musicale, que leur apprentissage semble surtout technique.
Concernant les chanteurs, même réputation, en partie justifiée : en plus de la difficulté évidente de passer à des langues d'une autre logique, d'une autre articulation, les artistes chinois et même un certain nombre de coréens semblent connaître une véritable difficulté pour habiter un texte ou respecter un style au delà des notes.
C'est aussi quelque chose de logique, même si c'est injuste : il manque le bain culturel à certains.
Sinon, concernant ta chouchoute, je trouve ça assez élégant et musical pour ce que j'en ai entendu, mais malheureusement, je n'ai pu entendre que des reprises tubesques. Je serais plus intéressé par son Scriabine ou son Medtner, c'est sûr. Et pour un récital discographique de jeunesse, c'est diablement audacieux.
DGG fait quand même des efforts : du contemporain, du lied rare et de la musique de chambre dans les disques de Grimaud, les Goldberg à la harpe, des nouveautés dangereusement modernistes chez les jeunes gloires du piano... Ce n'est pas encore CPO, mais c'est intéressant à observer.
La distance culturelle paraît difficile à gérer. J'écoutais une interview de Lang Lang sur qobuz l'autre jour, et j'ai l'impression qu'en dépit de son intelligence, de ses qualités de pianistes évidentes, c'est sans espoir...
Mais il ne faut pas croire non plus les barrières insurmontables, je me souviens d'une autre interview (plus ancienne) de Seiji Ozawa, dans laquelle il décrivait ses sentiments quand pour la première fois il avait entendu un orchestre occidental jouer de la musique occidentale - et pas un orchestre japonais comme il avait l'habitude. Et le choc d'entendre quelque chose de complètement différent et la prise de conscience du travail encore à réaliser. A condition de considérer que jouer comme un orchestre occidental soit un objectif valable pour un orchestre japonais.
Quand à la pauvre Yuja Wang, elle sort son disque-carte de visite, il faut peut-être lui laisser un peu de temps.
Il vaut mieux mieux effectivement faire montre d'une technique parfaite dans ce type de concours, et autant il ne serait peut-être pas si mal de l'exiger dans les concours de chant, tant on voit sortir des voix déséquilibrées, et même si leurs interprètes sont attachants, inutilisables ; autant dans les concours de piano et de violon, je demande grâce ! S'ils sont capables de jouer Chopin au tempo sans pains et en articulant, on peut peut-être ensuite regarder le potentiel purement expressif.
Parce que le tri technique se fait de toute façon, puisqu'il faut aligner au moins une ballade, une sonate et un scherzo avant les concertos pour gagner le concours... Ca atteste d'une force de travail assez conséquente, à présenter en si peu de temps.
et j'ai l'impression qu'en dépit de son intelligence, de ses qualités de pianistes évidentes, c'est sans espoir...
Pour quelle raison ?
De toute façon, j'ai remarqué qu'il était très rare qu'un interprète évolue beaucoup un fois passées ses premières années de carrière. Est-ce le tourbillon qui l'en empêche, la personnalité qui est indéfectible, la petite enfance qui est déterminante, je ne sais.
Concernant Ozawa, il faut tout de suite préciser que les Japonais, s'ils ont un mode de vie bien à eux, sont en revanche extrêmement formés à la culture occidentale, on y trouve tous les grands concerts qu'on veut. C'est aussi vrai des Coréens... pour certains. Je ne les mets pas dans le groupe des 'ingénus' comme les Chinois.
Quand à la pauvre Yuja Wang, elle sort son disque-carte de visite, il faut peut-être lui laisser un peu de temps.
C'est déjà pas si mal comme programme, quand je dis que DGG fait des efforts... !
Et puis même pas vrai que je ne parles que par stéréotypes,
...
J'ai dit que tu les décortiques et n'en fais qu'une bouchée... (?)
beaucoup moins que sur le forum de X... par exemple (qui me semble presque devenir pire, sur ce critère, que les forums maudits, plus nuancés).
Allons bon. Il faudra m'expliquer où ça et en quoi. Et quoi qu'il en soit, même si les forums maudits devenaient sensés (ce qui est plus que désespéré, je le sais de source sûre), je te laisse volontiers leur fréquentation.
Et puis tu perds ton fiel, il n'y avait pas de quoi te vexer, je te faisais un compliment. :-))
Ozawa parlait des orchestres de sa jeunesse, en effet même avec de bonnes notions de culture occidentale, il devait y avoir des choses étranges dans les orchestres japonais des années 1950.
Lang Lang me fait un effet étrange, je n'ai pas l'impression qu'il faille compter sur lui comme défricheur de répertoires. Il semble rétif à toute musique un peu atonale, préfère la pire pop commerciale au rock (mais là, par contre, il semble ne pas être passionné par la question). Pris en main par Barenboïm qui semble essayer de lui donner des voies vers une plus grand personnalité, on verra bien. Une chose est sûre : on ne peut pas l'accuser d'être si lisse que cela.
Je regardais les lauréats du concours Chopin, en effet, tous n'ont pas fait une brillante carrière. Cela dit, j'avais entendu Bella Dawidowicz en concert, et c'était une pianiste considérable à la fin des années 1980. Elle a une gloire discographique tardive en figurant dans quelques coffrets Brillant. En ce qui la concerne, je ne sais pas expliquer le relatif incognito. La personnalité ? le système soviétique ?
Je ne sais pas ce que devient Stanislav Bounine , autre premier prix. Les premiers prix ne sont pas une garantie. Dang Thai Son non plus ne fait pas parler de lui outre mesure.
Il ne faut pas négliger aussi la possibilité de carrières en plusieurs temps pour certains d'entre eux.
J'ai même l'impression qu'une majorité de pianistes qui font un début de carrière prometteur n'ont pas obtenu le sésame. Pour revenir à l'article, Yuja Wang semble avoir un peu galéré avec les grands concours. Son jeu, portant très équilibré, serait déjà trop personnel pour remporter le ponpon suprême ? Ce que je dis n'est pas exact, comme Lang Lang, elle semble avoir écumé toute une galaxie de concours asiatiques. C'est un vrai phénomène, cette culture asiatique pianistique qui paraît presque coupée du reste du monde.
Excuse-moi si je t'ai bousculé, je t'assure que ce n'était pas délibéré. :-(
Ozawa parlait des orchestres de sa jeunesse, en effet même avec de bonnes notions de culture occidentale, il devait y avoir des choses étranges dans les orchestres japonais des années 1950.
Je ne sais pas, ils ont été en pointe très tôt. Cela dit, on connaît surtout les tournées italiennes d'orchestres péninsulaires chez les insulaires, donc il faudrait voir au cas par cas.
Lang Lang [...] pas l'accuser d'être si lisse que cela.
Tout ce que j'ai entendu l'est réellement, pourtant. J'avais vraiment un bon a priori, vu le nombre de gens qui disaient que c'était indigne. Mais je suis forcé de reconnaître que c'est avant tout du spectacle visuel, une forme raffinée de cirque. On dirait vraiment qu'il ne comprend que les touches et pas la musique qu'il joue, c'est un peu effrayant. :-s
Je regardais les lauréats du concours Chopin, en effet, tous n'ont pas fait une brillante carrière. Cela dit, j'avais entendu Bella Dawidowicz en concert, et c'était une pianiste considérable à la fin des années 1980.
Il me semble que j'avais entendu et beaucoup aimé, en effet, un concert au tout début des années 2000 (mais est-ce possible ??). Ou alors je confonds avec une recommandation lue à cette époque-là. Ou un disque ?
Ce concours est bizarre. Il peut consacrer les plus grands comme Ohlsson ou Zimerman, et puis de jolis musiciens comme Dang Thai Son dont je parlais juste précédemment, voire des choses assez fades comme Yundi Li que tu évoquais avec justesse dans ton article.
J'ai même l'impression qu'une majorité de pianistes qui font un début de carrière prometteur n'ont pas obtenu le sésame. Pour revenir à l'article, Yuja Wang semble avoir un peu galéré avec les grands concours. Son jeu, portant très équilibré, serait déjà trop personnel pour remporter le ponpon suprême ?
Tu as bien sûr raison pour le début qui ne veut rien dire, et contrairement au chant on ne peut pas prévoir la résistance de l'organe ou les conséquences du tempérament...
Je ne pense pas que ce soit la personnalité qui exclue ta protégée, tu exagères un brin. :-)
Voilà voilà...
Mystère des concours... Différence entre ceux qui s'enferment dans l'univers du pianisme et ceux qui s'ouvrent à d'autres choses, prennent du recul ? Pour rester sur le sujet des pianistes médiatisés, qui sait si les loups n'ont pas aidé Hélène Grimaud ? Je veux dire, pas simplement sur le plan marketing, mais aussi sur le plan personnel : en donnant plus d'équilibre, un autre centre d'intérêt que les gammes et la vitesse d'exécution des études de Chopin ? Et en définitive en ayant un impact positif sur son jeu... Je ne sais pas.
Quant à ma petite protégée, comme tu dis, un semblant de reste d'honnêteté m'oblige à reconnaître que ce n'est pas l'originalité ébouriffante de son jeu qui la distingue pour le moment. Cela dit, c'est peut-être mieux que tu ne le crois. Malheureusement le récital sur Medici.tv n'est plus d'accès libre et les extraits sur youtube sont consternants d'esbroufe digitale. Il n'y a qu'un pauvre concerto de Prokoviev qui traine pour se mettre du substantiel sous la dent...
C'était juste une plaisanterie de ma part, parce que je sais d'autant plus que je ne t'ai pas bousculé que je ne t'ai pas beaucoup lu. :-)
Je voulais te taquiner, mais l'écrit et toutes ces sortes de choses traîtresses...
Je suis un infâme !
Mystère des concours... Différence entre ceux qui s'enferment dans l'univers du pianisme et ceux qui s'ouvrent à d'autres choses, prennent du recul ?
Possible. En tout cas il existe plusieurs attitudes très différentes, et la plus fréquente est le 'pianisme' en effet.
Pour rester sur le sujet des pianistes médiatisés, qui sait si les loups n'ont pas aidé Hélène Grimaud ? Je veux dire, pas simplement sur le plan marketing, mais aussi sur le plan personnel : en donnant plus d'équilibre, un autre centre d'intérêt que les gammes et la vitesse d'exécution des études de Chopin ? Et en définitive en ayant un impact positif sur son jeu... Je ne sais pas.
Oui, l'équilibre personnel, le repli paisible dans l'étude (à tous les sens du terme :-) ), la singularité... tout influe d'une certaine façon, mais les personnalités artistiques se figent tôt et évoluent peu.
Quant à ma petite protégée, comme tu dis, un semblant de reste d'honnêteté m'oblige à reconnaître que ce n'est pas l'originalité ébouriffante de son jeu qui la distingue pour le moment. Cela dit, c'est peut-être mieux que tu ne le crois.
Je ne crois rien du tout, je ne peux avoir que beaucoup d'intérêt pour une pianiste mangée toute crue pour avoir eu le toupet de remplacer Perahia et qui signe un premier récital-carte-de-visite avec du Scriabine et du Medtner ! Après, ce que j'ai entendu de son jeu m'a paru plutôt lisse, mais c'était effectivement dans des pièces à épate, donc...
Merci pour la causerie en tout cas. :)
Ce qui est bien, c'est que ça rend mon accumulation de stéréotypes très mesurée. J'aurais pu charger la barque, j'aurais été encore en dessous de la réalité :)
Au passage, ça m'étonne un peu au sujet du public de Murray Perahia que j'imaginais plus calme, comme il un jeu plutôt intimiste, j'imaginais un public recueilli et curieux de nouveauté.
C'est difficile de compatir à leur douleur, quand même. Ils ont eu le choix entre le remboursement ou bien une place pour les deux concerts de Wang à Paris en 2008 (donc : celui du Châtelet et celui de Pleyel auquel j'ai assisté). Pour résumer : deux soirées avec un programme génial (Ligeti, Bartok, Scriabine, Medtner...) à la place d'une soirée avec un programme convenu.
Mais le public(de catégorie 6 ?) semble avoir en partie refusé d'échanger son baril de Perahia contre deux barils de Wang. Ils ne savent pas ce qu'ils ont raté :)
Au passage, ça m'étonne un peu au sujet du public de Murray Perahia que j'imaginais plus calme, comme il un jeu plutôt intimiste, j'imaginais un public recueilli et curieux de nouveauté.
Il avait prévu de jouer du Bach, non ? Ce public est-il véritablement le plus ouvert, lorsqu'il écrit à l'envi que rien ne peut se comparer à Lui blablabliblablablo, jusqu'à refuser de découvrir parfois...
C'est justement la diversité des valeurs et des plaisirs qui peut faire déplacer pour entendre ce type de programme par une pianiste suspectée d'être lisse, et cela, je ne suis pas sûr que ce soit au programme de ceux qui ont déjà des hiérarchies sûres dans leur tête.
(Je parle un peu à l'emporte-pièce parce qu'on est entre nous, si on devait citer mon message, je nierais farouchement en être l'auteur, je ne veux pas d'histoires.)
semble avoir en partie refusé d'échanger son baril de Perahia contre deux barils de Wang. Ils ne savent pas ce qu'ils ont raté :)
C'est très bien, comme cela ils peuvent continuer à ne pas se poser de questions. :-)
Mais le public(de catégorie 6 ?)
Ou de série b ? :-)
Cela dit, franchement, j'aurais été déçu si j'avais tablé sur Perahia d'entendre une jeunette aux doigts agiles. En dépit de ton argumentation qui est la Raison incarnée.
et le bumble bee de yuja m'a impressionné- oué il suffit de peu pour épater des non connaisseurs. toutefois je n'étais guère épatée par le record du monde de david guarrett au violon tj sur le vol du bourdon.
j'ai qq questions
vous parlez des chinois mais y a t-il auj de jeunes français de ce calibre (yuja ou lang lang)?
je vois pas bien ce que ça peut représenter un tel remplacement ?
si vous pouviez comparer ça à des artistes pop, ça m'aiderait=> c'est comme si au lieu de voir un concert des rolling stones à la place on a droit à ???
qu'est ce que ça veut dire 'jeu trop lisse" ?
pouvez vous me citer quelques grands pianistes qui font quasi l'unanimité pour que j'aille jeter un coup d'oeil sur youtube merci
Pourquoi Bumble Bee au fait ? A la limite Полёт шмеля, le titre original, je comprendrais. Ca m'échappe toujours un peu le recours à l'anglais pour des pièces sans aucun lien connu avec l'Angleterre ou aucun autre pays anglophone.. Bah peu importe...
Les petites pièces de bis que joue Yuja Wang comme la Carmen Fantaisie ou le Vol du Bourdon sont sympa, mais ce sont des pièces de bis, et elles les joue comme telles, après un concert, pour distraire son public et partir sur un sourire.
J'aime bien d'ailleurs cette pièce, mais il n'y a pas grand chose à se mettre sous la dent niveau musique, tout de même, faut être honnête. Ca fait partie du charme de la version de Yuja Wang que de le jouer comme s'il s'agissait d'une pièce musicale digne d'un grand intérêt, avec un beau son et un grand soin des nuances et pas comme une plaisanterie comme le font d'autres tels que David Garret, dont j'ai regardé le record sur youtube et qui bon, joue vite et mal, pour résumer. Mais même par elle, cela reste des piécettes sans intérêt énormissime, faut être honnête. Et pour la discréditer, les déçus du concert de Murray Perahia ricanent, comme ici en la montrant jouer une de ces pièces qui ont un petit côté numéro de cirque (ce qui n'est d'ailleurs pas si dénigrant que cela, il y a des artistes exceptionnels chez les professionnels du cirque). L'humour, faut croire que c'est pas leur truc.
Simplement, ce n'est pas sur ce type de pièces qu'on peut juger si un pianiste est intéressant ou pas, pour répondre à une partie de ta question, les CNSM de Paris et Lyon doivent produire chaque année des dizaines de pianistes capables de jouer ce Vol du bourdon, certains un peu plus vite, d'autres un peu moins vite, mais bon, ce ne sera pas très différent de ce que fait Yuja Wang (ce chiffre doit pouvoir être transposé dans à peu près tous les pays d'Europe et du monde. Il sort donc des conservatoires du monde, chaque année, des armées de pianistes avec des doigts qui vont vite. L'objet de mon message était un peu de compatir de la difficulté qu'ils ont à se faire une place au soleil).
Mais il est injuste de résumer Yuja Wang à cela, c'est ce que je voulais dire.
Car ce qui est exceptionnel chez elle, pour une pianiste de son âge, c'est qu'elle est capable de jouer des pièces beaucoup plus longues, qui nécessitent de faire des choix d'interprétation (accentuation, vitesse, contrastes, sonorités, cohérence des diverses parties de la pièce entre elles) et de se confronter à des difficultés autrement plus problématiques que de simplement faire vite bouger ses doigts comme dans le Vol du bourdon. Et elle est capable de faire cela en parvenant à donner une cohérence à des pièces musicale qui durent parfois plus d'une demi-heure, écrites sans aucune pitié pour le pianiste. Comme ces sonates de Liszt, les variations de Brahms et Mendelssohn etc...
Et les pianistes de ce "calibre" là sont beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup moins nombreux. Et pour dire deux mots sur Lang Lang, il me semble, de ce que j'ai entendu (mais je n'ai pas tout entendu) qu'il est plusieurs "crans" en dessous de Yuja Wang dans ce type de répertoire.
Après, c'est aussi une question de goût, et tu as le droit de préférer les petites pièces amusantes aux grands pensums lourds et interminables du répertoire pour piano :) Quant à Yuja Wang, il suffit de regarder ses programmes pour comprendre de quel côté elle penche. Mais je crois qu'il faut lui reconnaître, qu'après des programmes très difficiles, elle semble ne pas avoir de préjugés et accepter de s'amuser et d'amuser son public avec ces pièces comme le Vol du bourdon, que d'ailleurs beaucoup d'autres très grands pianistes ont joué.
Comme pour Yuja Wang, l'avenir le dira...
Les grands pianistes font rarement l'unanimité, mais certains noms inspirent le respect même de leurs détracteurs : Claudio Arrau, Sviatoslav Richter, Murray Perahia, Vladimir Horowitz, Maria Grinberg, Martha Argerich, Nelson Freire, Geza Anda. Il y en a plein...
Pour l'analogie avec les concerts pop, c'est difficile. Imaginer peut-être remplacer les Rolling Stones par un jeune groupe totalement inconnu que leur maison de disque essaie de lancer.
Pour le jeu lisse, il faut avouer qu'elle privilégie la beauté du son et l'équilibre de l'ensemble à la prise de risque ou à maltraiter son public et ses pièces. Pour des jeux non lisses, essaie peut-être Maria Yudina ou Maria Grinberg sur youtube.
Je n'ai pas assez de culture et d'oreille pour saisir toute la subtilité de jeu d'un pianiste.
je m'émerveille donc facilement dès que je vois des performances comme le vol du bourdon et la marche turque.
Que pensez vous de la coréenne Hyun-Jung LIM ?
son bumble bee m'a assomée, bp plus que yuja
http://www.youtube.com/watch?v=ZKCZZf6ixj4
ainsi que son Rachmaninoff Etude.
franchement je sais pas en quoi est douée Lim et si elle est réellement si talentueuse que ça (et les sentiments des internautes là dessus m'intéressent fortement), mais je ne m'en suis pas remise. j'ai jamais assisté à un concert de musique classique mais là, je crois que si Lim passe à côté de chez moi, ça sera l'occasion de découvrir ça.
Oui, comme je ne le disais pas, cette pièce c'est le Vol du Bourdon, d'après Rimsky-Korsakov et transcrite par divers pianistes virtuoses comme Rachmaninov et Cziffra, si je ne dis pas de bêtise
土蜂, donc en chinois, oui Lim joue plus vite que Wang, c'est indéniable. Après, mieux joué, moins bien joué.
Mais là, nous somme en train de passer totalement à côté de la question : que penser des nouvelles combinaisons pour piano en polyuréthane qui gonflent artificiellement les performances des pianistes depuis ces dernières années, et est-il vrai qu'il y ait cette saison une nouvelle génération d'EPO qui fait des miracles dans les Etudes de Rachmaninov ?
Réclamons des contrôles surprise plus réguliers et plus stricts à la sortie des concerts ! C'est intolérable, cela gâche la compétition.
Sinon, si ce genre de performances t'intéresse, il y a ce forum entièrement consacré à la vitesse au piano (mais je te préviens d'avance, l'intérêt de ce qui est dit là n'est pas non plus colossal) :
http://www.dasdc.net/forum/index.php
Ou alors tu peux écouter cela :
http://www.youtube.com/watch?v=G0Ljg-cZ3hk qui me paraît de toute évidence ne pas être un pianiste mais un ordinateur programmé. Mais c'est drôle :)
Aller au concert, il ne faut pas s'en priver, c'est un accès direct à la musique et à une meilleure idée de la performance et du risque pris (quoique les rituels des concerts classiques les rendent parfois un peu sinistres).
Si tu aimes le piano, essaie ce récital de Yevgeni Kissin :
http://www.medici.tv/#/performance/543/
Il me semble que Yuja Wang y est programmée dans quelques jours.
j'ai vu d'autres vidéos de pianistes qui allaient plus vite ou à peu près dans les mêmes temps
mais ça me laissent de marbre
c'est surtout son Rachmaninoff Etude que j'ai vu sur youtube qui m'a bp plus
alors que d'autres pourront te donner des raisons* sur leur coup de coeur, ben moi je ne sais même pas pourquoi
car je ne sais pas si c'est bien joué ou pas, si elle a respecté les volontés du compositeur
si elle "interprète" ou si c'est juste une bonne technicienne
* apparément d'après ce que j'ai compris les critiques concernant tous les pianistes tournent autour de ça
un tel n'est pas assez léger, trop dur
trop de technique pas assez d'émotions
trop lisse ou pas assez
trop scolaire pas assez sensible
pas assez de risque ou dénature l'oeuvre etc
j'espère ne pas trop te souler avec ça
PS : j'ai pas compris l'epo ?
http://www.youtube.com/watch?v=shSSDbONGnQ
j'ai pas trouvé grand chose sur youtube la concernant snif
quand j'aurai le temps j'irai consulter les noms des pianistes que tu as évoqué plus haut. Ce qui est bien quand on est une newbie c'est que je vais écouter ça sans aucun préjugé (aucune idée sur leur réputation) et je dirai juste un tel j'ai aimé ou pas au risque de m'attirer les foudres des fans gnarf gnarf - faut vivre dangeureusement :-)
* merci pour les liens.
un tel n'est pas assez léger, trop dur
trop de technique pas assez d'émotions
trop lisse ou pas assez
trop scolaire pas assez sensible
pas assez de risque ou dénature l'oeuvre etc
Héhé !
Tu as à peu très tout compris, cela tourne toujours autour de ces mêmes notions, très très subjectives, ce qui permet de dire n'importe quoi avec une apparence de science. Avec aussi quelquefois des considérations sur le style (en principe, selon les époques, on ne joue pas tout de la même façon, de même qu'on ne joue pas un morceau de Hard Rock comme du Reggae).
Mais c'est normal aussi, un pianiste ce n'est jamais que quelqu'un qui rejoue à l'infini ce qui a été écrit par d'autres. Si on ne parle pas de la musique elle-même, de quoi parler ? :) Au final, les commentaires doivent être très proches de ceux que l'on fait des patineurs artistiques, sauf qu'eux, ils ont des chorégraphies originales, au moins.
Bonne idée que de partir sans préjugés, c'est la plaie de ce milieu que de faire des hiérarchies terribles et impitoyables, pas toujours justifiées.
Les remarques sur Yuja Wang qui remplaçait Murray Perahia, que j'adore par ailleurs, t'en auront donné un avant-goût.
Bonne découverte !