Yuja Wang - Sonates de Chopin, Liszt et Scriabine


J'avais parlé il y a quelques temps de Yuja Wang , après le récital auquel j'avais assisté à Paris et qui m'avait littéralement estomaqué. J'en profitais aussi pour papoter sur les préjugés, justifiés ou non, au sujet des pianistes chinois.

Il me semble pas mal de faire un peu de service après-vente.

Elle vient juste de sortir, enregistré en novembre 2008 à Hambourg, un récital pour Deutsche Gramophon.

Le programme est le suivant :

Chopin: Sonate pour piano no. 2 "Marche Funèbre"
Ligeti: Etudes
no. 4 »Fanfares« , no. 10 »Der Zauberlehrling«
Scriabine: Sonate pour piano no. 2
Liszt: Sonate en si
mineur

Encore un programme incroyable de difficulté. En même temps qu'un répertoire réservé aux pianistes maîtres de la construction.

Et puis, pour un premier disque, tenter la sonate en si de Liszt, un des sommets de la littérature pour piano, redoutée et redoutable, il faut oser !

A la première écoute, ce disque m'a un peu déçu. Comme le récital de décembre avait été un véritable choc, je m'attendais trop à le ressentir de nouveau. Mais l'effet de surprise ne peut pas fonctionner comme ça à chaque fois. Oui, donc, déception, pourquoi ? Un récital de piano avec une maîtrise technique invraisemblable, mais sans aucune aspérité... Un produit de studio, dans ce que cela peut avoir de pire.

Puis, je l'ai écouté de nouveau, plusieurs fois. Et il se dégage une sorte d'envoutement de ce disque, une poésie qui saisit progressivement l'auditeur (oui, là je parle de moi).

La sonate de Chopin n'est pas la plus grande réussite du disque. Elle est mise là pour souligner la parenté de ce Chopin avec Liszt et ses constructions dramatiques tortueuses. Yuja Wang s'en explique sur le site internet de Deutsche Gramophon, dans une note d'intention promotionnelle. Mais son interprétation est intéressante pour son soin du détail, son évidente envie de montrer toutes les subtilités de la partition en ciselant des détails lissés par certains interprètes. C'est un jeu au service de l'oeuvre, pas pour faire de l'esbrouffe digitale (ce qu'elle sait faire, par ailleurs). Mais je trouve qu'elle se perd un peu dans cette sonate, à trop vouloir la décortiquer.

Les deux études de Ligeti sont mises là comme intermèdes ludiques, pour reposer l'oreille entre chacun des trois grands morceaux de ce disque. C'est intéressant parce que cela montre un répertoire contemporain assimilé, considéré comme un objet avec lequel on peut s'amuser et donner un peu de théâtralité, pas comme une chose morte et désincarnée qu'on respecte sans savoir pourquoi. Mais c'est aussi un peu dommage, il y a un côté alibi : Yuja Wang se donne une petite image aventureuse à peu de frais, l'ensemble du Ligeti joué sur ce disque dure environ cinq minutes, pas plus. Sans doute difficile pour une interprète débutante d'imposer plus de musique contemporaine à la très conservatrice Deutsche Gramophon qui vise probablement avec ce disque la conquète d'un grand public asiatique.

La sonate numéro deux de Scriabine est un miracle de poésie et de fluidité. Les pianistes qui jouent Scriabine veulent souvent faire étal de leur virtuosité dans les pages de ce compositeur affreusementr difficile à jouer, et aboutissent à un résultat très dur et très froid, avec un jeu frappé. Ici, pas du tout, Yuja Wang cherche encore à montrer les beautés harmoniques de cette pièce et le fait tout en naturel, son jeu paraît évident. Je me demande si ce n'est pas la meilleure version de cette sonate que j'ai entendue.

Enfin arrive le gros morceau, la Sonate en si. Et là encore, beaucoup de didactisme et un infini respect du texte sans jamais être scolaire. Le discours se développe de façon très naturelle, les ambiances varient. Une très grande réussite. Il y a de nombreuses versions enregistrées de cette sonate, et le point faible de Yuja Wang est de ne pas prendre un parti-pris. Elle est encore dans l'évidence, et on pourrait dire que cette version serait une version idéale pour une première écoute de cette pièce, pas pour un approfondissement. Mais tout de même, la maîtrise musicale qui se dégage de ce jeu est stupéfiante, avec un jeu toujours sans esbrouffe. C'est tout simplement du très grand piano par une très grande musicienne qui veut montrer toutes les beautés de cette partition. Et comme dans le récital que j'avais entendu, la maîtrise de la grande forme est incroyable, le discours se tient tout au long de l'exécution. Si ce n'est pas la version de la sonate en si que j'emporterais sur une île déserte, c'est en revanche celle que j'écouterais si je veux entendre la partition de Liszt jouée de façon claire et habitée, et pour me reposer des pianistes aux egos surdimensionnés.

Mon intuition me dit qu'on n'a pas fini d'entendre parler de la demoiselle Wang, si elle reste à ce niveau musical et continue de proposer des programmes intéressants.

Le disque s'écoute sur MusicMe :

(En France, ce ne sera écoutable que le 2 juin. Mystères des sorties de disques et de leurs calendriers.)



Commentaires

DavidLeMarrec a dit…
Si je comprends bien, tu es en train de nous expliquer qu'en fait, c'est tout propret, la pianiste-génial-qui-va-faire-exploser-les-catégories-diapasonantes-sur-le-pianisme-chinois ?

[Comment ça, je n'ai pas tout lu ?]
Fanch a dit…
Grrrrrrr... Elle n'a pas dit son dernier mot. Elle reviendra et sa vengeance sera terrible !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
DavidLeMarrec a dit…
Oui, on va tous manger du riz et voter pour le candidat du Parti ?

(Ou bien on va tous acheter Diapason et lire que tout fiche le camp depuis le génie romantique Kempff ?)
Fanch a dit…
Tutut ! Je pressens un passionant disque Kurtag / Pierné / Ullmann joué avec une intensité qui t'en bouchera un coin.
Unknown a dit…
Un programme difficile, certes, mais pas des plus originaux. Je dois avoir 2 ou 3 (très bonnes) versions de chacune de ces oeuvres. ça n'est pourtant pas le répertoire original et intéressant qui manque au piano !
Fanch a dit…
C'est vrai, j'ai aussi au moins trois très bonnes versions de chacune de ces œuvres, mais je trouve sympathique qu'il y a de petits nouveaux qui arrivent de temps en temps. Et puis je fais une rechute pianistique ces derniers temps (je me soigne).

Quant au répertoire de Yuja Wang, je le trouve (relativement) plus aventureux que celui de la moyenne des pianistes lancés de façon marketing de sa génération : du Medtner, du Ligeti, du Stravinksy. J'avoue que je fais un petit pari sur l'avenir, on verra comment ça évolue.
DavidLeMarrec a dit…
Comme pour Fleming, ton sens de la pitié te fait honneur.
Fanch a dit…
Pfff, hébé, défendre les pianistes chinois prometteurs, ce n'est pas une sinécure :P

Bonne nouvelle, elle a une nouvelle adhésion à son fan club en la personne de Michael Tilson Thomas. Rien n'arrêtera Yuja !
cestencoremoi a dit…
Tu es au courant que MTT a aussi parrainé les internautes de YouTube ?

Son bon coeur est émouvant...
Fanch a dit…
Affreuse langue de vipère :p

Elle vous surprendra tous (il faut lui laisser un peu de temps, c'est tout).

Ah oui tiens, elle a joué en soliste avec le youtube orchestra. Ce n'est pas infamant, d'ailleurs, il y avait Gil Shaham aussi.

En tout cas, Claudio Abbado l'invite dans son festival à Lucerne, et j'ai foi dans le grand Claudio qui n'en est plus a grappiller des soutiens promotionnels.

(Maintenant, j'angoisse : il faut que Diapason lui mette une mauvaise critique, ce sera la preuve ultime que c'est une très grande).
DavidLeMarrec a dit…
Barenboim a bien parrainé Lang Lang... Personne n'est infaillible - sauf le pape, mais dans des conditions très précises qui n'ont pas été réunies depuis fort longtemps.
Fanch a dit…
Oui, chacun a choisi d'adopter son pianiste chinois, si ce n'est pas émouvant...
DavidLeMarrec a dit…
Et je crains que certains mauvais plaisants n'attendent avec impatience les abandons de l'été...
DavidLeMarrec a dit…
J'y ai jeté une oreille. Jeu très rond et aéré à la fois, avec beaucoup de détail au centre du spectre sonore, rien de brouillé ou de fondu. Grande, grande technique.

Mais au niveau de la variété des couleurs, de l'urgence et de la personnalité, ça ne m'a pas paru tel qu'il en fasse une artiste incontournable pour des concerts sur son seul nom. Autant le Chopin est agréablement détaillé, autant la Sonate se traîne gentiment.

Bravo pour le programme sinon, d'autes n'auraient pas pris la peine de mettre Scriabine et Ligeti pour si peu...
Fanch a dit…
Bah pffffff je préfère avoir tort avec Claudio Abbado que raison avec Diapason, voilà !

(ah ça j'en suis fier de cette phrase manifeste...)
DavidLeMarrec a dit…
Ah, mais si Diapason n'a pas aimé, c'est différent, je suis prêt à revoir ma position. :-)

[C'est quand même un peu déloyal ton procédé pour me discréditer, ça peut leur arriver de se tromper et de dire des choses sensées. Si on cherche bien, il y en a dans chaque numéro.]

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