Les Troqueurs de Dauvergne par l'Académie d'Ambronay à la Cité de la musique


Le 14 mai à la Cité de la musique, une représentation des rarissimes Troqueurs de Dauvergne, par des solistes de l'Académie baroque d'Ambronay (il semble que je sois un habitué maintenant, depuis ce super sympathique Carnaval et la Folie de Destouches à l'Opéra comique).

Deux parties : tout d'abord, une oeuvre uniquement orchestrale de Dauvergne, le Concert de simphonies a IV parties, oeuvre III n°2, en fa majeur (pour être précis), extraits de recueils publiés en 1751. Cette symphonie est jouée de façon chambriste, le petit détachement d'Ambronay est dirigé par le premier violon (Juliette Roumailhac, probablement, s je suis le programme), encore que le programme indique une direction de Serge Saitta (oui, l'homme invisible en personne). Pour être honnête avec cette musique, il faut signaler qu'elle est écrite à une époque où le genre symphonique n'a pas encore véritablement émergé en tant que tel.

Même chambriste et nerveux, la musique orchestrale de Dauvergne, c'est, heu, bon, c'est de la musique orchestrale de Dauvergne quoi. Pas désagréable, ça fait penser à de Rameau doux et génère un lancinant sentiment de somnolence propice à la rêverie (oui, voilà, je vais dire cela). Une vingtaine de minutes se passent ainsi. Comme le concert se passe dans le très agréable petit amphithéâtre de la Cité de la musique, il y a heureusement une sorte d'intimité qui passe et on entre en empathie avec les musiciens dans cette acoustique incroyable de précision.

Dans cet opéra de poche, arrivent ensuite les chanteurs : Andrea Puja, Annastina Malm, Benjamin Alunni, Marcos Garcia Gutierrez pour les Troqueurs.

Antoine Dauvergne, qui a dirigé l'Opéra de Paris et a composé plusieurs Tragédies lyriques, est surtout connu pour ces Troqueurs, présenté comme un Opéra bouffon d'après un conte libertin de Jean de la Fontaine. Pourquoi l'importance de cet opéra dans l'œuvre de Dauvergne ?

Parce que c'est un pastiche, écrit à la fin de la querelle des bouffons (créé en juillet 1753). Les partisans de l'Opéra français emmenés par Jean Philippe Rameau (le coin du Roi),perçus comme conservateurs, ont affrontés les partisans de l'italianisation de toute la musique comme une chose naturelle avec Jean-Jacques Rousseau (coin de la Reine), perçus comme progressistes.

Le directeur de l'Opéra comique, Jean Monnet, veut faire une plaisanterie et faire croire qu'un compositeur italien de Vienne (l'Opéra italien a un image internationale alors que la Tragédie lyrique paraît étroitement hexagonale) a composé un opéra de style bouffon sur un livret de Jean-Joseph Vadé, inspiré de La Fontaine. L'objet de cette plaisanterie est aussi d'italianiser la musique française, mais il sait que s'il présente d'emblée l'Opéra comme français, les partisans de l'Opéra italien refuseront de l'écouter, tant la querelle s'est envenimée à cette date.

La pièce a eu un immense succès, et les partisans des bouffons italiens ont été furieux d'apprendre que l'auteur était le très français directeur de l'Opéra, et probable élève de Rameau, Antoine Dauvergne. Mais le succès de la pièce s'est poursuivi, à tel point qu'en septembre 1753, il faut la retirer de l'affiche pour succès excessif...

Le livret est bien gentil, l'histoire de deux fiancés qui changent leur fiancées, lesquelles acceptent en râlant, puis tout le monde regrette et on rééchange. A la fin, tout le monde est content. Le sujet est édulcoré par rapport à La Fontaine, dans lequel les couples sont mariés.

Musicalement, c'est assez étonnant, un mélange de style vocal italien et de musique orchestrale française, on se demande comment les partisans des bouffons ont pu se laisser abuser aussi facilement. C'est très riche, très vivant, il se passe beaucoup de choses du côté des voix et des harmonies (beaucoup plus que dans le livret) et c'est passionnant d'entendre ainsi un des jalons de l'Opéra comique français dont le style vocal va radicalement changer sous l'impulsion de ces Troqueurs. Un grand merci à la Cité de la musique et à Ambronnay. Il devait y avoir quelques coupes (au moins le ballet) dans cette version de 45 minutes mais c'était joué avec un tel entrain et une telle foi que toute réticence est emportée (encore une fois, le niveau des jeunes chanteurs proposé par Ambronnay est, comme dans le Carnaval et la Folie, époustouflant). Il n'y avait pas de mise en scène complète mais une belle direction d'acteurs.

Vraiment heureux de cette découverte !

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