Die Gezeichneten - Franz Schreker



Conditionné et vaincu par la propagande éhontée de DLM sur Carnets sur Sol, j'ai donc découvert le compositeur autrichien maudit Franz Schreker et son opéra empoisonné Die Gezeichneten (elle est bien cette phrase, je la garde).

Schreker fait partie de ces compositeurs "dégénérés" interdits par le régime nazi. Pourtant en 1932, quand il a été démis de toutes ses fonctions à 54 ans, Schreker était un personnage important de la musique allemande. Il était directeur du Conservatoire de musique de Berlin à cette période très féconde en grande personnalités musicales et il partageait avec Richard Strauss l'affiche des grandes créations d'opéras. Il mourra deux ans plus tard et sa musique est presque tombée dans l'oubli.


Les Gezeichneten, opéra de 1918 a donc été programmé au festival de Salzburg 2005 dans une production luxueuse, même si l'opéra a été amputé d'une partie de sa trame secondaire pour faire avaler la pilule au public. Mais la réussite est totale, et l'accueil a été très bon.

Il faut dire que la musique de Schreker est très impressionnante. Elle est dans un style post-romantique début de siècle, très raffiné et sophistiqué. Si les mélodies ne sont pas si complexes, l'orchestration est très riche, avec plusieurs plans sonores qui se superposent et cela m'a donné l'impression d'un mouvement et d'une instabilité permanents.

L'écriture pour les voix est très lyrique, avec une intégration parfaite des voix dans la masse orchestrale qui ne les couvre jamais, malgré un orchestre qui paraît énorme. Seul chose qui m'a un peu géné : le flux musical est toujours saturé et ininterrompu, pas un seul silence. Il faut rester concentré. Peut être que la version intégrale avec des personnages secondaires permettrait de respirer un peu.



L'histoire et les thèmes sont très originaux pour un opéra : Alviano Scaviano est un noble génois du XVIè siècle, très riche mais très laid et difforme. Il a construit une île vouée à la beauté et aux arts, mais les jeunes nobles génois l'utilisent comme lieu de débauche sexuelle. Vitelozzo Tamare est un autre noble génois, meneur des agressions commises contre les jeunes filles de la ville et principal organisateur de ces orgies sexuelles, mais il est très séduisant. Les deux hommes tombent amoureux de Carlotta Nardi et leur rivalité va mener à trahisons et pièges.

L'ambiance est très décadente, comme le symbolise la mise en scène de Nikolaus
Lenhoff, avec une statue grecque détruite comme décor. Mais si c'est très beau, dans un cadre intemporel, avec des couleurs splendides, j'ai parfois eu du mal à saisir out de suite certains passages de l'histoire. Par exemple, le chanteur qui joue Alviano Salvago n'est pas laid ni difforme, et il m'a fallu un moment pour comprendre qu'il se décrivait comme laid au sens propre et pas au figuré. Bon je suis un boulet par ailleurs, donc je dois être une exception et spécialement lent.

(Quand même, ils auraient pu lui mettre une prothèse en cahoutchouc sur le dos et des morceaux de gomme machouillée sur le visage, comme pour Quasimodo dans toute représentation kitsch de Notre Dame de Paris qui se respecte. Là j'aurais tout de suite suivi. Ralalala ces metteurs en scène, il faut qu'on leur explique tout).

Le texte a de quoi inspirer un metteur en scène, avec de grands dialogues fondés sur la psychanalyse des personnages. Ca fait vraiment très début de siècle autrichien l'ambiance, avec des passages glauques. On imagine bien la censure nazie tomber là dessus.



Au service de la résurrection de cet opéra, une équipe de chanteurs tous parfaits, avec des voix magnifiques, et pourtant que celà doit être compliqué à chanter ! Robert Brubaker, Anne Schwanewilms, Michael Volle, Robert Hale, tous font une incroyable performance musicale, l'orchestre symphonique de Berlin est génialement dirigé par Kent Nagano, qui expose clairement et simplement les harmonies complexes de la partition.

Vraiment passionnant à découvrir, et je ne crois pas que cela soit une simple mode que de rejouer Schreker, sa musique est étonnante, Richard Strauss n'était donc pas le seul grand compositeur d'opéras post-romantiques de la République de Weimar.

Schreker a aussi composé d'autres opéras comme Die Ferne Klang. Une mine à explorer.

Commentaires

Anonyme a dit…
Quelques réactions en guise de service après-vente.

Pourtant en 1932, quand il a été démis de toutes ses fonctions à 54 ans, Schreker était un personnage important de la musique allemande. Il était directeur du Conservatoire de musique de Berlin à cette période très féconde en grande personnalités musicales et il partageait avec Richard Strauss l'affiche des grandes créations d'opéras. Il mourra deux ans plus tard et sa musique est presque tombée dans l'oubli.

Oui, il avait choisi de rester et cette disgrâce soudaine l'a achevé. Ses opéras remportaient alors plus de succès que Strauss lui-même...

Il faut dire qu'il avait des origines juives, bien qu'issu de l'aristocratie catholique autrichienne. Et que ses opéras assez psychanalysants, remplis de complexité et de sentiments mêlés à l'égard de l'humanité, avaient tout pour déplaire au nouveau régime.


même si l'opéra a été amputé d'une partie de sa trame secondaire pour faire avaler la pilule au public.

Il manque environ une demi-heure de musique, 17 rôles et surtout les deux autres intrigues, la semi-comique et la politique, sont supprimée pour l'une, mutilée pour l'autre.

On perd aussi en respiration, certaines tirades sont artificiellement mises bout à bout. Cependant, la plupart du temps, les coupures sont réalisées avec un vrai savoir-faire, elles s'entendent peu, à quelques exceptions près.


Il faut dire que la musique de Schreker est très impressionnante. Elle est dans un style post-romantique début de siècle, très raffiné et sophistiqué. Si les mélodies ne sont pas si complexes, l'orchestration est très riche, avec plusieurs plans sonores qui se superposent et cela m'a donné l'impression d'un mouvement et d'une instabilité permanents.

Exact ! J'évite d'ailleurs de parler de postromantiques pour des langages aussi tarabiscotés (je parle plutôt des "décadents"), mais ta précision est tout à fait limpide ; c'est cela même.


L'écriture pour les voix est très lyrique,

Ou, inversement, assez discursive. La même alternance que l'on trouve à l'orchestre. Dans l'esprit de Richard Strauss, en somme, même si les contrastes sont tout de même moins accusés.


Seul chose qui m'a un peu géné : le flux musical est toujours saturé et ininterrompu, pas un seul silence. Il faut rester concentré. Peut être que la version intégrale avec des personnages secondaires permettrait de respirer un peu.

Totalement. Tout ce qui a été coupé étaient des interventions de groupe brèves, de l'humour, des personnages secondaires, bref des choses qui aéraient utilement. Il est vrai que l'acte III, coupé au tiers, fait déjà cinquante minutes !


L'histoire et les thèmes sont très originaux pour un opéra : Alviano Scaviano
Salvago. :)


Les deux hommes tombent amoureux de Carlotta Nardi et leur rivalité va mener à trahisons et pièges.

Leur rivalité ne devient frontale que très tard, d'ailleurs. Ils ne se rencontrent jamais avant la seconde scène du III, tu auras remarqué.


(Quand même, ils auraient pu lui mettre une prothèse en cahoutchouc sur le dos et des morceaux de gomme machouillée sur le visage, comme pour Quasimodo dans toute représentation kitsch de Notre Dame de Paris qui se respecte. Là j'aurais tout de suite suivi. Ralalala ces metteurs en scène, il faut qu'on leur explique tout).

Et on peut faire des choses très bien avec ça, je pense par exemple au Rigoletto de Braunschweig, épuré et essentiel au possible, pourtant.


l'orchestre symphonique de Berlin est génialement dirigé par Kent Nagano, qui expose clairement et simplement les harmonies complexes de la partition.

C'est plus précisément le Deutsche Symphonie Orchester Berlin, dans ce casse-tête des orchestres berlinois. L'ancienne RIAS, aujourd'hui spécialiste de ce répertoire. C'est aussi cet orchestre qui officie dans la version Zagrosek au disque.

Tout à fait d'accord pour l'évidence étonnante conférée par Nagano.


Vraiment passionnant à découvrir, et je ne crois pas que cela soit une simple mode que de rejouer Schreker, sa musique est étonnante, Richard Strauss n'était donc pas le seul grand compositeur d'opéras post-romantiques de la République de Weimar.

Schreker a aussi composé d'autres opéras comme Die Ferne Klang. Une mine à explorer.


(masculin, donc il faut chercher à Der Ferne Klang)

Oui, dix opéras en tout dont une refonte. Et de l'excellente musique symphonique. Des lieder moins marquants.

Presque tout l'opéra a été édité au disque.


Merci pour ce compte-rendu !

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