Henri Dutilleux - Le Temps l'Horloge, invention du décadentisme français


Le 7 mai 2009, après pas mal d'attente, a été créé au Théâtre des Champs Elysées le cycle de mélodies d'Henri Dutilleux " Le temps l'horloge" écrit pour la soprano américaine Renée Fleming. Le compositeur a mis pas mal de temps à y arriver, il a plus de 90 ans et a toujours été méticuleux.

Une création partielle avait déjà été organisée de trois des quatre chansons du cycle il y a un an, au festival de Saito Kinen au Japon.

Mais cette fois, la quatrième chanson, sur un texte de Baudelaire, a été créée avec l'Orchestre national de France dirigé par Seiji Ozawa.

Henri Dutilleux a écrit un ensemble de quatre chants et un interlude avec orchestre,

Le temps l'horloge de Jean Tardieu
Le masque de Jean Tardieu
Le dernier poème de Robert Desnos
Interlude
Enivrez-vous de Charles Baudelaire

Ce cycle est comme une sorte de manifeste de la musique française, il avait été placé entre deux grands cycles orchestraux de Ravel et Berlioz comme dans un écrin. Pour la création partielle, Seiji Ozawa avait choisi la Pavane pour une infante défunte de Debussy et la symphonie fantastique de Berlioz. Cette fois, le chef qui est amoureux de musique française et dirige ces œuvres par coeur, avec beaucoup de transparence, a choisi Ma mère l'Oye de Ravel et Roméo et Juliette de Berlioz.

Dans ce contexte, il se dégage une impression étrange de ces mélodies, comme s'il s'agissait d'un anachronisme. Par rapport à ce qu'a écrit Dutilleux auparavant, cette musique est sage, il y a moins de dissonnances. C'est cependant d'un raffinement harmonique incroyable et il se dégage comme le parfum d'une époque révolue. Si je n'avais pas su que cela avait été écrit dans les années 2000, j'aurais été convaincu d'entendre une musique écrite dans les années 1920 ou 1930. Il n'y a pas chez Henri Dutilleux l'abstraction qu'on entend chez Olivier Messiaen qui a aussi écrit des mélodies, et l'impression donnée est celle d'une musique capiteuse et raffinée à l'extrême.

J'ai eu l'impression d'entendre l'équivalent pour la musique française des quatre derniers lieder de Richard Strauss. Je me demande même si ce n'est pas intentionnel de la part d'Henri Dutilleux qui choisit ici un texte de Robert Desnos, le dernier poème, retrouvé dans le camp de Terezin dans lequel est mort Desnos. Il ne s'agirait pas d'un poème original mais d'une traduction en français de la traduction en tchèque d'un autre poème de Robert Desnos, " J'ai tant révé de toi". Tout ces liens créées entre le passé, le présent, cette perception originale du temps donne un sentiment planant, voulu par le compositeur. Il souhaitait dans le dernier poème, celui de Charles Baudelaire, soit chanté de façon que "le sentiment d'exaltation se manifeste de plus en plus", depuis le début ce cycle est pensé pour la voix de Renée Fleming (oui, Henti Dutilleux a bon goût, lui. Pas comme certains... )

Elle est l'interprète voulue par le compositeur et se révèle idéale en donnant une atmosphère bien particulière à ces textes, fait d'un mélange de naïveté et de sophistication extrême qui n'appartient qu'à elle, avec en prime quelques petits accents véristes. Sa façon de chanter s'est un peu modifiée, comme dans son récent disque des quatre derniers lieder de Richard Strauss, justement, avec un nouveau goût pour la diction (ici, elle est difficile à comprendre, sans doute aussi du fait de l'écriture de Dutilleux) et des graves magnifiques. En forme et manifestement heureuse de chanter ce cycle à Paris, elle l'a repris en intégralité une seconde fois.

Un très beau concert, avec ce sentiment étrange d'avoir assisté à la naissance de la musique française décadente, un peu à l'image des décadents viennois de l'entre-deux guerres et leur style sophistiqué à l'extrême.

Commentaires

Unknown a dit…
J'aurais tant aimé être là ! Décadent ou pas, Dutilleux a peu de concurrents vivants pour le titre de musicien français le plus subtil et le plus profond.
Fanch a dit…
Il y a bien Pierrot...
Fanch a dit…
Je plaisante un peu en le qualifiant de décadent, mais j'ai réellement ressenti cela lors de ce concert. Une accumulation de subtilités, précisément, qui donne à son discours quelque chose qui est si sophistiqué que c'en est pesant. Je ne sais pas, c'est sans doute subjectif, mais je ne ressens pas du tout cela avec le reste de son oeuvre. Ni avec les poèmes pour Mi de Messiaen, que je réécoutais, et qui me paraissent plus spontanés, plus directs.

J'ai peur, aussi, d'avoir été perverti à cette notion de décadentisme par un affreux DLM...
cestmoi a dit…
Vous allez voir que ça va être ma faute...

[C'est vrai que j'ai la main lourde sur le décadentisme...]
Fanch a dit…
Parfaitement !

C'est de ta faute !

Mais je reste persuadé d'avoir entendu les Vier letzte lieder d'Henri Dutilleux, et que c'est intentionnel de sa part.

La preuve : dans le hall du Théâtre des Champs Elysées, il y avait plein de promotion pour ceux de Strauss, avec des photos de Renée. Alors, ce n'est pas une preuve, ça ?

Articles les plus consultés