Ensemble Intercontemporain - La mesure du temps - 2 octobre 2008


Tiens, je m'aperçois que je n'en ai jamais parlé. Dans un esprit pionnier, il m'arrive assez régulièrement depuis deux saisons d'aller voir l'Ensemble Intercontemporain dans sa résidence de la Cité de la Musique pour des programmes plus ou moins d'avant-garde. La politique actuelle de l'Ensemble paraît être de faire vivre un répertoire du XXème siècle encore peu intégré au répertoire et de ne pas se limiter à des créations sans suite.

Cela donne des concerts variés, avec des répertoires XXème siècle inusités pour l'ensemble (Charles Ives, Franz Schreker), la joie de retrouver les bon sérialistes dodécaphoniques purs et durs des années 1970 qui nous manquent tant, et des créations à base de postmodernisme rigidifié et de spectralisme joyeux.

Cela veut dire aussi que j'ai surtout entendu la finlandaise Susanna Mälkki, nommée à la tête de cet ensemble il y a à peu près deux ans, avec quelques exceptions de Jonathan Nott, Pierre Boulez, Pierre Laurent Aimard et Peter Eotvos. C'est sans doute la première femme à la tête de l'Ensemble, la première non-compositrice aussi, sauf erreur de ma part.

Ce soir, pour l'ouverture de la saison, l'Ensemble s'est placé sous le signe de l'orthodoxie, pas question de rire. C'est quasi rempli, un public nombreux, de tous âges est là, très bon chic bon genre, enseignement supérieur et assimilés, habits sombres et élégants. Il y a du Stockhausen au programme, avec du Eliott Carter, et rien que cela semble attirer une foule (relative) alléchée à l'idée de l'orgie sonore à venir.

C'est amusant d'ailleurs, ce public est plus décontracté (décontracté chic, attention) que celui du clavecin l'autre jour, où la "père fouettard attitude" était manifestement de rigueur (je me rappelle encore le regard de ce brave quinquagénaire essayant de me mordre quand je lui demandai si je pouvais lui prendre un de ses dix programmes, sachant que la salle était en rupture de stock. Pas moyen, il devait faire une collec des programmes Leonhardt. Comme je le comprends.)

Bref. Trève de se moquer des publics comme si je n'en faisais pas partie et revenons à nos moutons.

Le concert commence par du Mauricio Kagel, Zehn Märsche um den Sieg zu verfehlen. Je retrouve le style Mälkki, assez étrange : look de pasteur nordique, gestuelle qui ressemble un peu à celle des types qui agitent des pancartes sur les pistes des porte-avions, mais saccadé comme un lapin mécanique, les pieds au garde à vous mais le buste et les bras très mobiles. Le résultat est étonnant, d'une grande poésie parfois, avec des pianissimos diaboliques (Kammersymfonie de Schreker, Pièces de Webern), très clair et articulé, limpide, mais avec parfois une tendance à la démonstration sonore (Bernd Aloïs Zimmermann, ça peut faire du bruit, mais alors vraiment beaucoup beaucoup beaucoup...) Dans Kagel, ça fonctionne très bien, petit instant de miracle.

Après cet hommage, on enchaîne sur le programme original et du Eliott Carter, l'Asko concerto. Très franchement, après le Kagel amusant et abordable, on entre dans le bien méchant. Oeuvre d'un contrepoint très élaboré, je me demande si elle est audible sans étude préalable de la partition. Chacun des six instruments est mis en avant successivement, avec contrepoints tarabiscotés des autres, plusieurs sections séparées par une " ritournelle" (dixit Cité de la musique) en effet repérable, avec une combinaison harmonique récurrente (pas repérée, désolé), ensuite une succession d'épisodes chambristes d'une grande liberté, avec variation de la mesure du temps, des répétitions, des délires de solistes et des dialogues entre instruments avec pulsation irrégulière. D'une complexité inabordable en première écoute sans la partition sous les yeux, à mon humble avis. Agréable à écouter quand même, donne un sentiment de liberté totale (dans un cadre atonal strict, attention. Le terme ritournelle est à prendre ici avec beaucoup de guillemets).

Ensuite, un peu de divertissement avec deux études de Conlon Nancarrow, à l'origine pour piano mécanique ici transposées pour ensemble. Sans doute contre la volonté de l'auteur d'ailleurs, qui s'était amusé avec une perforeuse à faire des contrepoints incroyables, des accords injouables avec des décalages invraisemblables qui n'étaient pas destinés au concert. Ici, il s'agit sans doute en partie de faire valoir la virtuosité de l'Ensemble Intercontemporain (et oui, des délires de perforeuse, ils peuvent les jouer) mais c'est vraiment rigolo à écouter. Un peu comme un Jazz Band qui serait passé sous un rouleau compresseur, quelque chose comme ça. En tout cas, je n'avais jamais rien entendu d'approchant.

Et ensuite, on va vers une création de Per Nørgård, Scintillation, pour sept musiciens. Alors là, encore du super-chiadé, je ne vous dis que cela. Il s'agit d'une création française, elle a été jouée en 1994 en Angleterre. Il s'agit de rendre la perception du phénomène de scintillation. Motifs " en forme de vague " qui accélèrent et décélèrent avec deux couches superposées avec mouvements de notes liées entre elles de façon (dixit la Cité, j'imagine qu'il s'agit d'un travail sur le hasard) "indéfinissable" dans le spectre harmonique, l'autre couche étant un contrepoint invraisemblable fait de micro motifs inclus dans des motifs plus importants. Hors la description ardue de la chose, il y a vraiment un sentiment de scintillement qui se dégage, comme des phénomènes éphémères qui apparaissent au hasard et disparaissent sans raison, impossibles à délimiter.

Après un petit entracte pour reprendre ses esprits, Zeitmasse de Karlheinz Stockhausen. Pour cinq bois. Alors là, oulalah. Aridité. Il semble y avoir trois thèmes successifs, mais c'est si atonal qu'il faut se concentrer au plus haut point pour écouter quoi que ce soit. Encore ici, j'ai l'impression qu'il faudrait la partition sous les yeux pour suivre la section médiane, par exemple avec 1 douze tempi diffrents 2 aussi vite que possible 3 aussi lent que possible suivant les capacités respiratoires, 4 aussi rapide que possible à environ quatre fois plus lent 5 commencer lentement et accélérer quatre fois la vitesse. Bon il paraît aussi que les douze sons de la gamme chromatique sont mis en rapport avec 12 tempis différents, de 60 à 120 (principe de la troisième partie). L'idée est une nouvelle approche du temps en musique. Le souci, c'est que je devais être très peu réceptif à ce moment du concert (le coup de mou, quoi) et je suis resté sur le bord. C'est présenté comme une œuvre révolutionnaire, et le public est littéralement en délire à la fin. Je ne peux m'empêcher de me poser la question de savoir si c'est la qualité de la prestation qui les a enchantés ou le nom de Stockhausen sur le programme. Sur l'interprétation, je n'ai pas senti de mise en danger mais plutôt une volonté d'assurer coûte que coûte
qui me paraît contraire à l'esprit annoncé de la pièce, mais je n'ai aucune référence. Enfin, pour moi, quinze minutes un peu dures.

Enfin, vient la pièce spectaculaire du concert, pour deux ensembles, pianos et clavecin, le double concerto d'Eliott Carter. Travail de timbre spécifiques pour l'ensemble avec clavecin et l'ensemble avec piano. Encore des grandes sophistications sur la mesure du temps avec accélérations et décélérations simultanées, plus perceptibles car cela finit par se dérouler comme une sorte de joute entre piano et clavecin. Cela se termine par une coda délirante et chaotique, propice à faire appaludir l'Ensemble et sa chef.

Un concert intéressant, mais j'espère des choses moins systématiquement ardues la prochaine fois, parce que se reposer de temps à autre pendant un concert, ça fait du bien aussi. (Oula, je découvre que cela sera du Stockhausen, du Maderna, du Mark André et du Lachemann. Gloups. On va revivre l'esprit du Darmstadt des années 50. Arf. )

Une première : un petit essai d'intégration d'un lecteur Deezer, c'est du Stockhausen au piano :)

Commentaires

Anonyme a dit…
Je proteste, c'est déloyal ! Avec mon périple du week-end dernier, je ne suis pas passé la semaine du 6. C'est rien que pour me faire mentir ça.

Oui, programme duraille (surtout que ce n'est pas de chance, il y a beaucoup de Carter sympa). Le prochain spectacle, tu auras au moins Mark André qui, comme tu le sais, est très agréable à écouter, très bien fichu. Maderna n'est pas trop extrémiste non plus, à défaut d'être à 100% intuitif.

Après, Sto et Lachenmann, tu es parti pour un grand moment de solitude pionnière. :-))
Fanch a dit…
Bon, je vais donc pionneriser un peu seul encore.

Mais je le sens, la saison va s'adoucir ensuite ! (enfin j'espère un peu)
Anonyme a dit…
J'ai eu des retours très séduits par ton Sto en écoute libre et par ton article sur Fresco.

Je pense d'ailleurs que tu devrais en avoir des nouvelles bientôt.
Anonyme a dit…
Tiens, je n'ai pas trouvé trace d'autre déclaration d'amour à Suzanne en remontant dans le temps.

J'hésitais à aller voir dans des conditions acoustiques déplorables le programme original qu'elle nous a concocté pour Bordeaux. Si ce n'est pas déjà passé, tu auras peut-être des nouvelles.
Anonyme a dit…
Selon David Le Marrec
Après, Sto et Lachenmann, tu es parti pour un grand moment de solitude pionnière. :-))

Non, Nau of Sands, vous n'êtes pas seul.
N'écoutez pas les sirènes des lutins à la langue fourchue. Vous savez bien que DLM fait de l'urticaire à la seule (((lecture))) vue du nom de Stockhausen.
Ce qui est très agréable quand on arrive, c'est l'accueil musical, quelques notes discrètes au piano (en autoplay, il ne faut pas en abuser : s'il y en a plusieurs qui démarrent en même temps...).
Ce qui est franchement select, ce sont les liens. Je ne sais pas si Catherine Kintzler est ainsi en référence sur de nombreux blogs.

[les articles sont bien, cela pourrait aller sans le dire]
[[il n'y a aucune relation entre Lou Ravi/Lou Aigri et Lou, ici
http://nhofszandz.blogspot.com/2008/02/destouches-houdar-de-la-motte-le.html]]
[[[même si un jour, ce n'est pas coutume, Lou a failli se fâcher pour une erreur, qu'il n'a jamais dénoncée en public, d'un ami des lutins, à propos du Houdar]]]
Fanch a dit…
Oh bienvenue ici. J'ai trop sacrifié ce blog à mon activité sur des forums, et je ne peux être actif partout. Je vais le faire revivre.

Merci du commentaire :)
Anonyme a dit…
Rien que pour le plaisir d'en entendre encore.

Ca manque, tu devrais le mettre dans la barre latérale.

En plus, ça s'écoute bien même lorsque on a autre chose qui tourne, ça ne fait pas trop de bruit.

Articles les plus consultés