Peter Eötvös - Lady Sarashina


Seulement trois représentations en février 2009 à l'opéra comique de cette œuvre commandée et créée à l'opéra de Lyon en 2008.

Courez-y ! [Il reste le mardi 17 et le mercredi 18]

Ne s'agissant pas d'une création, la presse est silencieuse et concentre ses feux sur Yvonne, princesse de Bourgogne de Philippe Boesmans à l'Opéra Garnier, laquelle Yvonne a réussi l'exploit de remplir toutes ses représenations avec un public satisfait pour un opéra contemporain. Je ferai peut-être un petit mot dessus, mais l'infâme David a déjà écrit un excellent message qui serait proche de mon ressenti (en bien écrit). Pour résumer : un ennui poli de ma part, une musique de "trop bon goût", ce qui ne veut rien dire mais c'est la formule que j'ai trouvée alors voilà... De même, la saison dernière, j'avais assisté à Melancholia de Georg Friedrich Haas et étais resté mitigé. Très séduit par la musique en grommelant intérieurement qu'un autre sujet n'ait pas été choisi que ce bidule dépressif et nombriliste de Jon Fosse.

Par ailleurs, je connais mal Peter Eötvös, de mes souvenirs conscients de ce compositeur, j'avais bien aimé l'ésotérique Atlantis mais pas non plus adoré plus que cela. Je pense avoir entendu d'autres oeuvres, mais sans avoir grand chose à en dire

Je me dirigeais donc d'un pas hardi mais mesuré vers l'opéra comique ce samedi 14 février, me rassurant avec la bonne nouvelle que la Lady avait le mérite de ne pas être trop longue, 1 h 20 annoncée. Après avoir escaladé les escaliers de la salle Favart vers ma modeste place haut-perchée, je pouvais constater une excellente visibilité de la scène et, qu'en même temps, il n'y a avait pas une foule compacte autour de moi. Je pourrais éventuellement me consacrer à une petite sieste réparatrice si le besoin s'en faisait ressentir.

Les lumières se sont éteintes avec un peu de retard, comme si la direction espérait qu'à la dernière minute se produirait un miracle et qu'une foule en délire prendrait d'assaut les dernières places libres. Ça commence.

Et je suis me suis retrouvé sur un petit nuage de bonheur pendant 1 h 20 que je n'ai pas senti passer.

Trêves de préliminaires,que s'est-il passé ?




Un voyage entre millénaires et continents

Un écueil se présente sur cet opéra : le texte est un anonyme japonais de la première moitié du XIème siècle, traduit en anglais par un orientaliste britannique du milieu XXème siècle, sur laquelle on a mis la musique d'un compositeur hongrois du XXIème siècle, le tout destiné à être joué dans un opéra français sis sur le Rhône...

Le pari est risqué, s'agit-il d'une acculturation totale et du massacre d'un pauvre texte qui n'avait rien demandé, d'une illustration des méfaits de la mondialisation ? Va-t-il en sortir un gadget composite ou un spectacle cohérent ?

A mon avis, un spectacle magnifique et abouti. Peut-être en grande partie parce qu'il assume d'emblée son statut par son titre : Lady Sarashina. Moitié anglais moitié japonais, il n'y a pas d'ambiguïté. Il s'inscrit aussi comme un véritable titre d'opéra : ce n'est pas " le journal de Sarashina", ni " As I crossed a bridge of dreams", titre des extraits traduits par Ivan Morris. C'est un personnage titre d'opéra, telle une Madama Butterfly, une Alcina ou une Lucia di Lamermoor...

Peter Eötvös a réussi a créer une œuvre cohérente en soi, logique et qui ne demande pas à l'auditeur de connaître les différentes traditions dont elle dérive pour qu'il la comprenne. Sa force est peut-être simplement là : Eötvös est enthousiaste de son texte et veut transmettre cet enthousiasme à son public, il n'écrit pas pour plaire à tel ou tel courant de la musique contemporaine et obtenir un satisfecit académique.

Le livret de l'opéra comique, très bien fait comme d'habitude, lui donne la parle : " Après une petite hésitation, j'ai choisi l'anglais, une langue plus universelle et qui permet d'échapper à un exotisme dont on ne peut mesurer les effets. Avec cette oeuvre, je m'intéressais surtout, comme pour Atlantis, écrite en 1995 sur un texte e Sandor Weöres, à ce thème fascinant de l'épanouissement et de la disparition des cultures, qui, telles des vagues, n'ont jamais de développements parallèles."


Des extraits d'un nekki susceptibles de fonctionner sur scène

Le texte choisi est un nekki, sorte de journal féminin dont le plus connu est le Dit de Genji. Un des textes fondateurs de la littérature japonaise, alors que le Japon s'affranchit de la tutelle chinoise et que les hommes continuent à écrire en cette langue jusqu'aux Xèmes et XIèmes , les femmes de l'aristocratie vont écrire en japonais en prose ces journaux intimes très raffinés qui fascinent aujourd'hui.

Neuf extraits ont été choisis par Peter Eötvös. De l'univers onirique de l'univers du journal de Sarashina, Printemps, Le Garde, Pèlerinages, le rêve au chat, la lune, le rève au miroir, Nuit sombre, Souvenir, Destin, sont les textes qui aux yeux d'Eötvös avaient le plus grand potentiel d'action. On a envie de dire : qu'est-ce que cela aurait été sinon... On est bien dans l'univers intérieur de la dame, et l'émotion naît de sa perception de sa vie, mélancolique, d'une grande poésie. Et il faut l'avouer, cet univers est plein d'une émotion incroyable " fate is not a friend of mine".

La narration est cohérente, j'ai le sentiment que la trame et l'esprit du texte original ont été respectés, mais quelqu'un qui s'y connaîtrait mieux ne serait pas forcément d'accord. De l'apparence cyclique, immobile, se dégage une narration et une conclusion. Le livret, d'apparence bizarroïde pour un opéra a un véritable impact dramatique, subtil, évanescent, mais qui fonctionne (ce qui manquait à mon avis dans les Yvonne de Bourgogne et Melancholia suscités, par exemple).

Une tradition lyrique

Là, je vais sans doute dire une bêtise, car si j'ai bien lu, Peter Eötvös considère que le style vocal de cet opéra est plus proche du langage parlé en comparaison avec une autre de ses œuvres, Trois soeurs, d'écriture lyrique. Je dois avouer que je ne connais pas les Trois soeurs.

Ce qui m'a frappé, au contraire, c'est le véritable lyrisme de son écriture. C'est un véritable opéra, écoutable sans référence obligée au sprechgesang ou à une écriture disjointe. Il y a phrasés, émotion, la ligne suit le texte, c'est vrai, mais Eötvös semble ne rien s'interdire a priori, et le résultat est vocalement " immersif". Selon lui, pour donner une plus grande intimité à certaines paroles, il a utilisé un micro et les chanteurs sont sont sonorisés pour quelques phrases, le tout mis dans un dispositif de spatialisation. Là, j'ai beaucoup plus eu un sentiment de gadget, d'autant que la taille de l'opéra comique rendait bien l'intimité du texte par un simple lyrique " non sonorisé", alors que la spatialisation dans un théâtre à l'italienne, ça marche peut-être au parterre mais dans les loges, pas du tout... Dans une très grande salle rectangle standard, il faudrait essayer. Mais le rendu voix et électronique n'était pas désagréable et les chanteurs sont l'essentiel du temps sans sonorisation.

L'essentiel est que Eötvös se situe bien dans une grande tradition lyrique. Cette rencontre avec une écriture intimiste et une scénographie orientalisante et dépouillée de Ushio Amagatsu fait un spectacle d'une grande beauté et d'une grande cohérence malgré la référence à des univers différents.

Harmonie et temps

La musique d'Eötvös ne joue pas uniquement sur l'immobilisme et le cycle, ce qui était à craindre. Son orchestre est étoffé (joli détachement de l'opéra de Lyon) mais sa musique est riche harmoniquement, plus d'une tonalité torturée que d'un atonalisme dur. C'est mouvant, évanescent, introduit des modes qui font penser à la musique asiatique mais jamais d'une façon qui serait de l'exotisme gentil. C'est splendide à écouter, magnifiquement orchestré et cette élégance évanescente accompagnée de percussions variées (même des pierres) colle parfaitement au texte. La musique évolue avec le déroulement de la pièce, et les contrastes entre les neuf scènes sont bien marqués. J'imagine qu'il y a des structures qui reviennent dans la partition, mais ce n'est pas facile à repérer dans une musique assez complexe et sur une seule représentation.

Réussite scénique

La mise en scène évoque le théâtre japonais, dans de très beaux costumes de Masatoma Ota. Seule Mary Plazas joue Lady Sarashina sur toute la pièce, excellente chanteuse et actrice impliquée. Les autres rôles , entourage, apparition de rèves, lectures, sont assurés par Pater Bording, Ilse Eerens et Salomé Kammer.

Une sorte de théatre japonais en soi, qui peut évoquer No, Kabuki, ainsi que la grande tradition multi-millénaire du Bô Wilsô.

Un petit enchantement que cette Sarashina de Peter Eötvös que je ne croyais pas capable de telles réussite (comme quoi les préjugés...) Public enthousiaste à ce qu'il m'a semblé, une jolie soirée, comme un rêve qui serait passé...


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